La nécessité d’établir un vrai lien entre les noms de domaine lorsque la plainte vise une pluralité de défendeurs

Dreyfus | Domain Names and Multi-Defendant ComplaintsOMPI, D2022-3002, 27 octobre 2022, Fenix International Limited c/o Walters Law Group contre l’opérateur de registre privé, Privacy Protect, LLC (PrivacyProtect.org), service de confidentialité fourni par Withheld for Privacy ehf, Global Domain Privacy Services Inc. (PrivacyGuardian.org), Andrew Rew, Okoth Nigel, Chaker Ben smida, sofma, John Harbin, Keith Allan, Amar Bizwer, Najib Lakhdhar, Bouabdellah, Jamal McMillan, Atay Rabby Chisty, IVAN KOBETS, MINERAL, maddis jones, Philipp Muller (1)

 

Lorsque l’on est titulaire d’une marque très contrefaite, il est tentant, pour des raisons économiques et de gestion des litiges, de viser un maximum de noms de domaine dans une plainte UDRP, afin d’obtenir par une seule décision une réponse aux différentes atteintes rencontrées. Pour autant, il convient de demeurer très vigilant quant à la solidité du lien entre les noms de domaine désignés et de le démontrer avec précision, pour que la consolidation soit acceptée.

Ainsi, dans une décision du 27 octobre 2022, la plainte UDRP déposée par la société Fenix International Limited (« Fenix ») visant à se voir attribuer 14 noms de domaine qu’elle estime imiter sa marque ONLY FANS, a été rejetée. 

Le requérant est titulaire du nom de domaine <onlyfans.com> et de plusieurs marques « ONLYFANS » enregistrées en 2019, notamment des marques de l’Union européenne et du Royaume-Uni.

Le site web www.onlyfans.com a connu une ascension fulgurante ces dernières années : avec plus de 180 millions d’utilisateurs enregistrés, il se classe désormais à la 177ème position du Top Alexa répertoriant les sites web les plus populaires au monde. Il s’agit d’une plateforme permettant de poster et de s’abonner à du contenu audiovisuel. Les contenus érotiques et pornographiques y rencontrent un grand succès.

Les noms de domaine contestés, enregistrés postérieurement aux marques de la société Fenix, présentent pour certains un lien patent avec la plateforme, comme <onlyfans-leaked.com> ou <celebrityonlyfans.com> quand d’autres ne reproduisent que certaines parties de la marque : les initiales « O » et « F », le terme « ONLY » ou encore le terme « FAN ».

Ces noms de domaine pointent vers des sites web proposant des services similaires à ceux du requérant, à savoir des contenus vidéo pour adultes. La procédure UDRP prévoit que lorsque plusieurs noms de domaine litigieux semblent présenter un lien, il est possible de les étudier via une même procédure.

Pour qu’une plainte visant plusieurs défendeurs soit acceptée, il faut d’une part prouver que les noms de domaine font l’objet d’un contrôle commun, qu’il s’agisse d’une seule et même personne ou d’un regroupement d’individus agissant de concert et d’autre part, que la consolidation serve dans l’intérêt d’une décision juste et équitable pour chacune des parties.

C’est au requérant qu’incombe la charge de la preuve sur la question du contrôle commun des noms de domaine litigieux. C’est donc dans le but de démontrer ce lien que le requérant s’est attaché à avancer de nombreux arguments.

Le requérant repose sa demande de consolidation sur plusieurs arguments : les noms de domaine litigieux dirigent vers des sites web proposant des contenus piratés issus de son site web www.onlyfans.com; les différents sites présentent un design général fortement similaire à son site officiel, qu’il s’agisse de l’en-tête, de la police ou encore des logos utilisés ;  ils offrent les mêmes services et prix ; les noms sont enregistrés via trois bureaux d’enregistrement ; et ils ont une structure commune : certains sont constitués d’un terme générique suivi de la partie « ONLY » de la marque antérieure, d’autres intervertissent ces éléments.

Aussi, le requérant allègue qu’au vu des adresses indiquées lors de l’enregistrement de certains des noms de domaine litigieux, localisées en Tunisie, la probabilité d’un contrôle commun n’était que d’autant plus envisageable. Il avance également que de nombreuses informations de contacts n’étaient pas correctes lors de l’enregistrement des noms de domaine. L’expert retient toutefois que le seul renseignement d’informations erronées n’est pas de nature à démontrer un contrôle commun, eu égard notamment, à la régularité de ce type de faits.

Enfin, il mentionne que l’un des défendeurs a déjà fait l’objet d’une plainte UDRP pour laquelle Fenis avait obtenu satisfaction quant à sa demande de consolidation.

Deux défendeurs ont répondu aux arguments du requérant. Le titulaire du nom de domaine <baddiesonly.tv> a expliqué que les sites web ont une apparence similaire car ils reposent sur un script dit « KYS » qui permet d’obtenir une mise en page type qui sera donc fortement similaire d’un site à l’autre. Il explique que son nom de domaine a été réservé via une agence, qu’il n’a donc pas choisi le bureau d’enregistrement et que rien ne le lie aux autres noms de domaine, que ce soit par exemple les informations sur le réservataire ou la date d’enregistrement.

Un second défendeur, titulaire du nom <hornyfanz.com>, explique également n’avoir aucun lien avec les titulaires des autres noms visés par la plainte.

Pour fonder sa décision, l’expert relève que le demandeur n’a pas prouvé le contrôle commun des différents noms de domaine alors qu’il lui appartenait d’étayer ses allégations. 

En substance, les annexes présentées ne montraient que des sites web avec un contenu de divertissement pour adultes. Dès lors, elles n’étaient, selon l’expert, pas de nature à prouver que les noms de domaine contestés étaient liés. D’ailleurs, en regardant dans le détail les sites, l’expert a pu noter qu’ils diffèrent tous plus ou moins les uns des autres. Il explique que quand bien même certains des sites pourraient être considérés comme très proches et donc sous contrôle commun, cela ne prouve pas que les autres noms invoqués sont liés à ce groupe de noms.

En outre, l’expert note que le requérant se contredit en indiquant à un moment donné que trois bureaux d’enregistrement sont concernés quand dans la plainte amendée il en invoque cinq. En tout état de cause, cela ne montre pas un contrôle commun entre les noms.

Par ailleurs, la combinaison du terme « ONLY » avec un autre terme générique ne saurait démontrer un contrôle commun des noms de domaine puisque « ONLY » est aussi un terme générique. Sur ce point, l’on peut se dire que le requérant aurait pu arguer de la renommée de sa marque « ONLY FANS » en lien avec le contenu érotique et pornographique, pour argumenter sur le fait que les termes « ONLY, « FANS » et les initiales « OF » peuvent évoquer sa marque.

Enfin, l’expert note que les noms ont été enregistrés sur une période de deux ans et que les défendeurs ont tous des adresses e-mail différentes.

Toutes ces raisons ont poussé l’expert à rejeter purement et simplement la plainte du requérant tout en rappelant que l’admission d’une plainte à l’encontre de plusieurs défendeurs n’est pas automatique. La constitution d’une telle plainte alourdit fortement la charge de la preuve pesant sur le requérant, qu’il faut donc prendre au sérieux. Ici, l’analyse de Fenis semblait effectivement fantaisiste.  

 

Références