Le jugement rendu le 10 juin 2010 est l’occasion pour le Tribunal de Grande Instance de Paris de faire certains rappels quant à la dynamique existant entre un huissier procédant à des procès-verbaux et l’ordonnance du juge l’en autorisant.
En l’espèce, la société demanderesse Neuf exerçant sous le nom commercial « Maison Martin Margiela SAS » avait intenté une action à l’encontre de la société défenderesse SARL H&M Hennes & Maurit au titre de la contrefaçon d’un blouson ayant la particularité de posséder 5 zips, et au titre de la concurrence déloyale et parasitaire. La société H&M contestait notamment la validité des actes d’huissier effectués par la société Neuf et réclamait d’annulation des procès-verbaux effectués. Ce sont ces contestations qui nous intéresseront surtout, car elles donnent l’occasion au TGI de faire certains rappels quant à ces types de procès-verbaux.
La dynamique entre l’ordonnance du juge et les actes de l’huissier
En annulant les procès-verbaux de saisie-contrefaçon au motif que les huissiers instrumentaires avaient excédé les limites de leur mission, le TGI rappelle la suprématie des termes l’ordonnance du juge, dont le contenu doit être respecté à la lettre par l’huissier.
La décision du 10 juin 2010 est un nouvel exemple d’un huissier outrepassant les limites de l’autorisation qui lui a été donnée par l’ordonnance. En effet, dans un premier temps, la société Neuf avait fait concomitamment procéder à deux saisies-contrefaçon par deux huissiers différents ; or, la simultanéité des opérations de saisie « empêchait l’un des huissiers instrumentaires d’être porteur de la minute ou de l’expédition revêtue de la formule exécutoire de l’Ordonnance et ce en contravention avec les articles 495 et 503 du Code de la procédure civile ». En outre, il ressortait des procès-verbaux que les huissiers n’avaient découvert sur les lieux des saisies aucun article argué de contrefaçon, mais qu’ils avaient recueilli des déclarations des personnes présentes sur les objets argués de contrefaçon en décrivant le blouson en cause ou en présentant le modèle argué de contrefaçon. Or, l’ordonnance n’autorisait pas l’huissier, en l’absence de découverte préalable sur les lieux de la saisie, de recueillir les déclarations spontanées des personnes présentes quant aux actes argués de contrefaçon. Le TGI a donc déclaré que les huissiers avaient excédé les limites de leur mission.
Cependant, une telle décision face aux comportements des huissiers n’est pas une révolution jurisprudentielle. La Cour d’appel de Paris avait statué similairement dans un arrêt du 7 juillet 2009 dont les faits étaient voisins. L’apport du jugement du 10 juin 2010 tient donc dans les précisions qu’il apporte sur la saisie-contrefaçon. Le TGI rappelle tout d’abord que la saisie-contrefaçon est « un moyen de preuve de la contrefaçon », avant de se tourner vers les conséquences de sa nullité.
Les conséquences de la nullité d’une saisie-contrefaçon
La jurisprudence française n’est pas unanime quant aux conséquences de la nullité d’une saisie-contrefaçon. Certains juges énoncent que la saisie-contrefaçon d’un huissier dépassant la limite de l’autorisation donnée par l’ordonnance ne constitue qu’une nullité de forme, en retenant néanmoins que l’irrégularité cause un grief (CA Paris, 7 oct. 1998 : RD prop. intell. 1999, n° 97, p. 44, 48 et 49). C’est notamment ce que la société demanderesse avançait. D’autres juges, cependant, ont déclaré que « la violation d’une des conditions définies à l’ordonnance constitue une irrégularité de fond affectant la validité du procès-verbal de saisie-contrefaçon, indépendamment de tout grief » (CA Paris, 7 mai 1996 : PIBD 617/1996, III, p. 454, 455). Dans la décision du 10 juin 2010, le TGI se place du côté de cette deuxième interprétation des conséquences de la nullité d’une saisie-contrefaçon, en déclarant que la contestation de sa validité « constitue non une exception de procédure […] mais un moyen de défense au fond » et que sa nullité « n’entraine pas l’extinction de la procédure ni ne la rend irrégulière mais a pour effet le rejet des prétentions du demandeur si aucun autre moyen de preuve n’est fourni aux débats ».
Le constat déguisant une saisie-descriptive
Les saisies-contrefaçon ne sont pas les seuls procès-verbaux à être annulés par le TGI, un autre acte, que le TGI redéfinit, l’est aussi.
Dans le jugement du 10 juin 2010, la société Neuf avait désiré faire procéder au constat d’achat de l’objet litigieux pour la défense de ses droits et actions. L’usage des procès-verbaux de constat répond aux nécessités de la pratique en permettant de fixer un état de fait susceptible de se modifier ou de disparaitre. Il s’agit d’un mode de preuve particulièrement courant puisque les huissiers peuvent, sans l’autorisation d’un juge, procéder à des constats d’achat. Une limite est néanmoins prévue par la loi : les huissiers doivent demeurer sur la voie publique.
En l’espèce, un employé du Conseil en Propriété Industrielle de la société Neuf s’était rendue dans un des magasins de la société H&M et en était ressortie contenant son achat, qu’elle avait remis à l’huissier qui se tenait devait le magasin. De retour à son étude, l’huissier avait effectué une description du blouson, y avait apposé un scellé et avait annexé à son procès-verbal une photographie du blouson ainsi qu’une copie du ticket de casse. Le TGI considéra que les opérations précédemment décrites avaient été effectuées aux fins d’établir l’existence d’une contrefaçon et qu’elles avaient abouti à la description détaillée du blouson litigieux. L’huissier avait par conséquent réalisé une saisie-descriptive telle que prévue par l’article L. 332-1 du code de la propriété intellectuelle au lieu d’un constat, mais sans respecter les règles énoncées par ledit article et surtout sans que la société Neuf n’ait obtenu l’autorisation préalable du juge. Cette requalification de l’acte effectué par l’huissier constitue une nouvelle occasion pour le TGI de réitérer la suprématie du juge et des termes de son ordonnance dans le cadre de procédures réalisées par huissier.