Daniel Morel, photographe professionnel originaire de Haiti, a posté sur l’application Twitpics (une plateforme de contenu liée au réseau de microblogging Twitter permettant l’envoi d’images et de photos) des photographies de Port-au-Prince suite au tremblement de terre de 2010. Ses photographies du désastre, accompagnées des mentions « Morel » et « by photomorel », furent parmi les premières à paraître hors d’Haïti. M. Morel a ensuite posté un tweet (message court de 140 caractères minimum) via Twitter dans lequel il disait posséder des photographies exclusives du tremblement de terre ; un lien hypertexte permettait d’accéder à sa page Twitpic, où se trouvaient lesdites photographies.
Quelques minutes après que les photographies furent postées, Lisandro Suero, un résident de la République Dominicaine, copia lesdites photographies qu’il posta sur sa propre page Twitpic, sans attribution à M. Morel. Il a ensuite posté un tweet via Twitter dans lequel il disait posséder des photographies exclusives du tremblement de terre.
Au même moment, plusieurs agences de presse sont entrées en contact avec M. Morel afin que ce dernier leur accorde l’autorisation d’utiliser ses photographies moyennant finances. En outre, dans l’heure suivant le tweet de M. Morel, Vincent Amalvy, un éditeur de l’Agence France Presse posta un lien hypertexte à partir de son compte Twitter permettant d’accéder à la page Twitpic de M. Morel. Cependant, une heure plus tard, le même éditeur entra en contact avec M. Suero afin d’obtenir les photographies, qu’il téléchargea sans en informer M. Morel. L’AFP a ensuite ajouté les photographies à sa base de données et les a transmises à Getty, licencié exclusif de l’AFP pour les USA et le Royaume-Uni. Les photographies furent cédées en licence à diverses agences d’information, accompagnées de la mention « AFP/Getty/Lisandro Suero ».
Dans les jours qui suivent, les photographies de M. Morel sont apparues sur CNN, CBS et d’autres médias, devenant des images iconiques du désastre haïtien. Malgré les mesures agressives de M. Morel et son agent pour protéger la diffusion des photographies, leur utilisation s’est poursuivie et ce, sans attribution à M. Morel.
L’AFP a fini par réclamer un jugement déclaratoire énonçant qu’elle n’avait pas violé les droits d’auteur de M. Morel. Ce dernier initia une action reconventionnelle à l’encontre d’AFP, Getty, CBS, ABC et d’autres entités auxquelles les photographies furent cédées en licence sur le fondement du droit d’auteur, du Digital Millenium Copyright Act (DMCA) et du Lanham Act. L’AFP réclama le rejet de la demande reconventionnelle ; le juge débouta ladite demande pour les prétentions relatives au droit d’auteur et au DMCA (Agence France Presse v. Morel, SDNY 2011, No. 10-02730).
Les demandeurs (AFP, Getty, CBS, ABC et autres) soutenaient principalement qu’en postant ses photographies sur un forum où celles-ci pouvaient être infiniment partagées et republiées, M. Morel avait accordé aux demandeurs l’autorisation implicite d’utiliser ses photographies. A contrario, M. Morel affirmait qu’il avait eu l’intention de conserver ses droits d’auteur sur les photographies.
Le juge releva que bien que Twitpic soit une société distincte de Twitter incorporée dans un autre état et régie par des conditions d’utilisation différentes, la page d’ouverture de session indique qu’ « En cliquant sur « Autoriser », les conditions d’utilisation Twitter continuent de s’appliquer ». Or les conditions d’utilisation de Twitter lui accordent « une licence mondiale non exclusive, libre de redevance avec le droit de sous-licencier, utiliser, copier, reproduire, traiter, adapter, modifier, publier, transmettre, afficher et distribuer le Contenu à tous les médias ou à toutes les méthodes de distribution (connues à présent ou développées ultérieurement) ». Il est précisé que « Cette licence nous autorise à rendre vos tweets publics pour tous et autorise les autres utilisateurs à faire de même. Mais, ce qui est à vous est à vous – le contenu des tweets est le vôtre ». En outre, Twitter « encourag[e] et perme[t] la réutilisation du contenu » ; il est cependant précisé que la licence accorde « le droit à Twitter de mettre le Contenu à la disposition d’autres sociétés, organisations ou individus qui travaillent en partenariat avec Twitter ». De même, les conditions d’utilisation de Twicpic n’accordent le droit d’utiliser les photographies qu’à Twitpic.com et des sites affiliés.
Après un examen attentif de ces conditions d’utilisation, le juge considéra que la réutilisation du contenu posté sur Twitter et Twitpic était limitée puisque seuls des sociétés, organisations ou individus travaillant en partenariat avec Twitter pouvaient en bénéficier. Puisqu’en l’espèce, les demandeurs n’étaient ni en partenariat avec Twitter ni des tiers bénéficiaires de l’accord de licence entre M. Morel et Twitter. Le juge a donc estimé que M. Morel n’avait pu leur accorder l’autorisation implicite d’utiliser ses photographies.
Il est intéressant de noter que la décision semble tracer une ligne autour de l’univers de Twitter et de ses affiliés, en permettant sans entraves la réutilisation du contenu posté au sein de cette sphère, peu importe le but commercial ou non de l’usage. Si CNN avait tout simplement posté à partir de son compte Twitter un lien hypertexte permettant d’accéder aux photographies litigieuses, la chaîne d’informations aurait respecté les conditions d’utilisation du réseau de microblogging et serait donc restée dans la légalité. Un tel havre de paix juridique n’existe cependant pas au dehors de cette sphère, ce que certains tendent à oublier.