Parallèlement au lancement du .eu qui se tînt le 7 décembre 2005, des contrats de licence de marques ont fleuri ça et là entre des entreprises non européennes, plus particulièrement américaines, et des conseils européens aux fins d’enregistrer des noms de domaine en .eu durant la période prioritaire « Sunrise Period ». Des montages juridiques prenaient la forme suivante : une entreprise américaine qui souhaitait enregistrer un nom de domaine en .eu mais qui n’avait aucun lien, avec le territoire européen tel qu’un siège social ou un établissement principal, signait un contrat avec un conseil situé dans la Communauté. Ladite licence de marque donnait pouvoir au conseil d’enregistrer un nom de domaine en .eu en son nom propre mais pour le compte du titulaire de marque qui ne satisfaisait pas les exigences découlant de l’article 4, §2b du Règlement CE n°733/2002 du Parlement européen et du Conseil du 22 avril 2002[1]. Ces montages juridiques ont éclot durant la « Sunrise Period [2]» avant que la réservation des noms de domaine en .eu ne soit ouverte au public.

La nature de ces licences est apparue douteuse aux yeux d’une entreprise belge de vente de lunettes et de lentilles en ligne. Le litige a fait l’objet d’une question préjudicielle portée à l’attention de la Cour et qui est toujours pendante.

L’affaire Pie Optiek : une décision à ne pas perdre de vue

L’entreprise belge Pie Optiek opère ses activités par le biais d’un site Internet par lequel elle propose à la vente des lentilles et des lunettes. Elle exploite son cœur de métier via le site www.lensworld.be. Cette dernière souhaitait réserver un nom de domaine en .eu durant la période Sunrise et pour ce faire a procédé au dépôt préalable de la marque Benelux LENSWORLD. Que ne fut pas son étonnement lorsque l’EURid refusa d’enregistrer le nom de domaine au motif qu’il avait déjà été réservé quelque temps plus tôt par le Bureau Gevers. L’enregistrement préalable réalisé par Bureau Gevers pose la question de l’essence même de la licence de marque. En effet, une entreprise américaine du nom de Walsh Optical avait signé une licence de marque avec le Bureau Gevers. La société américaine n’ayant pas d’établissement dans la Communauté, elle usa du mécanisme juridique décrit ci-dessus aux fins d’enregistrer le nom de domaine lensworld.eu. Le Bureau Gevers avait alors réservé ledit nom de domaine avec succès. Le problème de droit ici soulevé est celui de savoir si Bureau Gevers peut être considéré comme un « titulaire de droits antérieurs » au sens du Règlement CE n°874/2004 ? Les demandes de Pie Optiek étaient les suivantes :

– Pie Optiek souhaitait voir reconnaître le caractère abusif et spéculatif du contrat de licence de marque ainsi consenti ;

– Pie Optiek sollicitait également le transfert du nom de domaine lensworld.eu.

L’avocat général, Madame Trstenjak dans ses conclusions rendues publiques le 3 mai dernier a affirmé clairement la nécessité d’avoir un établissement au sein de la Communauté pour avoir qualité à la réservation d’un nom de domaine en .eu.

La question préjudicielle ainsi soulevée devant la CJUE était de savoir si le montage juridique pouvait être considéré comme un véritable contrat de licence de marque. Ou un simple contrat de service De nombreuses entreprises ayant recouru aux artifices dudit montage juridique sont aujourd’hui dans l’expectative. Ce qui apparaissait auparavant comme une solution salvatrice revêt donc aujourd’hui les apparats d’une véritable menace si la CJUE donne son blanc-seing aux conclusions de l’avocat général.

Quelques chiffres sur le .eu :

-L’Allemagne est le plus important réservataire de .eu avec pas moins de 1119210 réservations de noms de domaine (chiffres au 17 juillet 2012, source : www.eurid.eu);

-Le dernier rapport trimestriel de l’EURid pour le premier trimestre 2012 a mis en exergue que le .eu connait une croissance de 6,1% par rapport au 1er trimestre 2012 ;

-En terme de volume d’enregistrement, la Lituanie, l’Autriche et la Slovaquie sont en première position.

 


[1] http://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=CONSLEG:2002R0733:20081211:FR:PDF.

[2] La Période Sunrise s’est tenue du 7 décembre 2005 au 6 avril 2006.