L’AFNIC est le registre français chargé de gérer, entre autres, l’extension pour le <.fr>. Encadrée par le Code des postes et des communications électroniques (CP et CE), sa mission est d’assurer l’attribution des noms de domaine <.fr>, ce qui l’expose parfois au regard des juges.
Le 15 septembre 2011, la Cour d’appel de Versailles[1] a rendu un arrêt portant notamment sur la responsabilité de l’AFNIC, assignée pour avoir maintenu accessible un nom de domaine, objet d’un contentieux judiciaire.
En l’espèce, le titulaire du droit de marque FRANCE LOTS s’était inquiété de l’enregistrement du nom de domaine <francelots.fr>. Le réservataire du nom de domaine ayant dissimulé son identité par le biais d’un service d’anonymat, une requête avait été déposée afin d’enjoindre à l’unité d’enregistrement la communication de ces données d’une part, et à bloquer le nom de domaine pendant toute la durée de l’instance d’autre part. Le juge a fait droit à la première demande, mais non à la seconde.
Le titulaire du droit de marque a alors assigné le réservataire en contrefaçon et le registre pour parasitisme. Il était reproché à l’AFNIC d’avoir aggravé le préjudice subi en ne bloquant pas immédiatement le nom de domaine en cause.
Le 6 octobre 2009, le Tribunal de grande instance de Versailles lui donne raison et condamne l’AFNIC « pour avoir contribué à la persistance de l’impact parasitaire du site francelots.fr et à la perte de l’image de la société Francelot en s’abstenant de toute initiative de bloquage ».
L’AFNIC interjette appel contre cette décision et obtient satisfaction auprès des juges du second degré.
Les juges ont examiné les deux bases légales à même de les éclairer sur le rôle du registre dans cette situation : la Charte de nommage de l’AFNIC et les dispositions des articles R. 20-44-45 et suivants du CP et CE.
Pour des raisons diverses (applicabilité de la loi dans le temps, défaut d’accréditation de l’AFNIC..), les juges ont considéré que les dispositions du code les plus pertinentes ne pouvaient s’appliquer à l’AFNIC.
Restait donc la Charte de nommage qui n’impose au registre aucune obligation de blocage des noms de domaine contrevenants. Selon les juges, son article 23 n’énonce « qu’une faculté de mise en œuvre du blocage du nom de domaine » dans le cas ou une violation des termes de la charte est constatée.
Dès lors, la Cour en déduit que l’AFNIC n’avait « ni les moyens ni les compétences pour juger par elle-même de la réalité de l’atteinte aux droits à la propriété intellectuelle et de la violation des règles d’une concurrence loyale déplorée par la société Francelot ».
Cette décision reste pertinente au regard de la loi nouvelle (rappelons que de nouvelles dispositions du CP et CE sont entrées en vigueur au 22 mars 2011[2] et au 1er août 2011[3]) puisque le paragraphe 59 de l’article 3.2 de la Charte de nommage de l’AFNIC dispose que « le Code des postes et des communications électroniques ne confère pas à l’AFNIC le pouvoir de contrôler de manière générale le bien-fondé ou la légalité du choix des termes demandés à l’enregistrement »[4].
Pourtant, le CP et CE énonce à son article L. 45-2 que « l’enregistrement ou le renouvellement des noms de domaines peut être refusé ou le nom de domaine supprimé lorsque le nom de domaine est : (…) susceptible de porter atteinte à des droits de propriété intellectuelle ou de la personnalité, sauf si le demandeur justifie d’un intérêt légitime et agit de bonne foi ».
La procédure extrajudiciaire Syreli de règlement des litiges comprend, entre autres droits opposables, ceux de propriété intellectuelle et a été confiée à l’AFNIC. C’est donc l’AFNIC qui est compétente a posteriori pour connaître d’un conflit opposant une marque à un nom de domaine.
L’AFNIC a donc, de toute évidence, un rôle de juge. Et il semble qu’elle n’entende pas partager cette prérogative si facilement puisque les projets proposant l’intervention d’un tiers indépendant dans la procédure extrajudiciaire n’ont pas abouti. Seule reste la possibilité facultative « d’intervention d’un tiers » énoncée à l’article L. 45-6 du CPCE et non reprise par le règlement du système de résolution des litiges[5] Syreli.
Cette position est particulièrement critiquable puisque l’AFNIC cumule ainsi les rôles de juge et partie. En effet, dans le cadre d’une procédure classique d’enregistrement ou de renouvellement de nom de domaine, elle peut opposer son refus a priori. Et dans le cadre d’une procédure Syreli, il lui est demandé de se prononcer sur la légalité de l’enregistrement d’un nom de domaine a posteriori.
Il n’est pas impossible qu’un justiciable décide un jour de soumettre cette question à la Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH). Dans cette situation, il serait difficile de justifier de la légalité des dispositions du CP et CE au regard de l’article 6§1 de la Convention sur le droit au procès équitable[6].
La Cour a déjà eu l’occasion de définir sa propre notion du tribunal comme « un organe qui exerce une fonction juridictionnelle en tranchant, sur la base de normes de droit et à l’issue d’une procédure organisée, toute question relevant de sa compétence » (CEDH, 22 octobre 1984, Sramek c/ Autriche). Cette définition semble suffisamment large pour comprendre l’AFNIC statuant dans le cadre d’une procédure Syreli.
Si l’AFNIC est reconnu comme un tribunal, elle doit alors respecter tous les principes qui s’imposent à un tribunal dont celui d’impartialité objective, qui consiste à se demander « si, indépendamment de la conduite personnelle du juge, certains faits vérifiables autorisent à suspecter l’impartialité de ce dernier » (CEDH, 24 mai 1989, Hauschildt c/ Danemark).
En l’espèce, le règlement du Syreli énonce au paragraphe II, vi,a, que « le collège est composé de trois membres : le directeur général de l’AFNIC et deux membres titulaires nommés en raison de leurs compétences juridiques, de leur connaissance (…) et de leur expérience ».
Aucune impossibilité de statuer n’est mise en place dans le cas où le membre désigné a déjà eu à connaître de l’enregistrement ou du renouvellement du nom de domaine en cause. De même, le directeur général est responsable de toutes les décisions prises par l’AFNIC. Il semble donc difficile d’imaginer qu’il puisse être complètement impartial dans le cadre de la procédure Syreli.
L’impartialité objective de l’ensemble du collège peut donc être remise en cause ce qui constitue une atteinte à des droits fondamentaux à double titre. Tout d’abord, la procédure Syreli porte atteinte au droit à un procès équitable, protégé par une norme supra-législative, la Convention Européenne des Droits de l’Homme. En deuxième lieu, c’est le non respect des droits de la défense qui peut être invoqué. Rappelons que ce droit est constitutionnel depuis une décision du Conseil constitutionnel du 2 décembre 1976 qui l’a érigé en principe fondamental reconnu par les lois de la République[7].
Une réforme semblait donc nécessaire et c’est dans le cadre de la convention Etat/Afnic que les défauts de la procédure se sont vus partiellement corrigés.
Cette convention, adoptée à l’occasion de la désignation de l’AFNIC comme office d’enregistrement du .fr pour 5 ans, aborde au paragraphe 10 la « procédure de règlement des litiges» pour apporter une évolution notable.
L’AFNIC s’engage, avant le 30 septembre 2013, à mettre en place une procédure supplémentaire de résolution de litiges en partenariat avec l’OMPI et prévoyant l’intervention de tiers. Et cette procédure sera encadrée par l’article 45-6 du CP et CE (délai de deux mois pour statuer, procédure contradictoire…).
On ne peut que se réjouir de cette nouvelle procédure qui garantira plus efficacement les droits des justiciables. Elle ne règle cependant pas les problèmes posés par la procédure Syréli…
[1] CA Versailles, 12e ch., 2e sect., 15 septembre 2011, n° 09/07860, Assoc. AFNIC c/SAS Francelot
[2] Loi n° 2011-302 du 22 mars 2011
[3] Décret n° 2011-926 du 1er août 2011
[4] Charte de nommage de l’Association française de nommage internet en coopération, <http://www.afnic.fr/medias/AFNIC_charte_de_nommage__04-2012-_version_francaise.pdf>
[6] Article 6§1 de la CEDH : Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial (…).
[7] Décision n° 76-70 DC du 2 décembre 1976, Loi relative au développement de la prévention des accidents du travail