Nominet est le registre est charge du <.co.uk>. L’attribution de ces noms de domaine se faisant généralement sur le principe du « premier arrivé, premier servi », de nombreux conflits sont susceptibles d’éclater. Il était donc nécessaire de mettre en place une procédure de règlement des litiges adaptée. Ainsi, lorsqu’une personne estime que l’enregistrement d’un nom de domaine porte atteinte à ses droits (le plus souvent un droit de marque) deux possibilités s’offrent à elle. Elle peut porter l’affaire devant un tribunal, en se pliant aux conditions classique de l’action en justice, ou elle peut porter plainte devant Nominet, qui est aussi responsable d’une procédure de règlement extrajudiciaire des litiges portant sur les noms de domaines en <co.uk>.
Cette procédure extrajudiciaire est définie dans une charte intitulée « Dispute Resolution Service Policy » (DRS). Elle se distingue par une phase de médiation obligatoire qui aboutit très souvent à un règlement amiable du litige. Dans le cas où la phase de médiation échoue, l’Expert doit alors statuer sur l’enregistrement abusif du nom de domaine.
La décision de l’Expert peut faire l’objet d’un appel devant Nominet qui mandatera un groupe s’expert, « Expert Review Group » de trois personnes pour réexaminer l’affaire. Là encore, les Experts ne peuvent se prononcer que sur la nature abusive de l’enregistrement du nom de domaine.
En 2008, Airline operator Emirates engagea une procédure extrajudiciaire afin de faire transférer à son profit le nom de domaine <emirates.co.uk>.
L’Expert du premier degré décidant que l’enregistrement avait été légitime, le requérant fit appel de la décision. Celle-ci fut annulée par le groupe d’Expert qui constata l’enregistrement abusif du nom de domaine et ordonna son transfert.
Le réservataire porta alors l’affaire devant les tribunaux et le 7 mars 2012, la Haute Cour de Justice le débouta de ses demandes.
La Haute Cour nous explique qu’il n’est pas possible pour une juridiction de l’ordre judicaire de statuer sur l’enregistrement abusif d’un nom de domaine. En effet, cela reviendrait à autoriser une nouvelle voie procédurale non prévue dans la charte DRS.
Cette nouvelle voie aurait pour effet de paralyser la procédure DRS puisque celle-ci doit être immédiatement suspendue dans le cas où une procédure judicaire est initiée (paragraphe 20 de la charte). Si les tribunaux de l’ordre judicaire pouvaient connaître de l’enregistrement abusif des noms de domaine, cela faciliterait grandement l’action en justice des réservataires qui, menacés d’une procédure DRS, saisiraient systématiquement la justice. La procédure extrajudiciaire perdrait alors tout son sens.
Les juges ont donc laissé à l’Expert seul le soin de décider de l’enregistrement abusif d’un nom de domaine, fermant la porte à toute nouvelle voie procédurale parallèle. L’objectif avoué est de protéger la procédure DRS. En effet, cette procédure est plus rapide et moins couteuse qu’une action en justice classique et il apparaissait nécessaire de la préserver. Il ne peut donc y avoir aucun réexamen d’une décision en appel de Nominet. En outre, il semble que même une décision de première instance ne puisse faire l’objet d’un examen devant le juge judiciaire. En effet, dans sa décision du 7 mars 2012, la Cour a précisé à plusieurs reprises que la question de l’enregistrement abusif ne regardait que l’Expert. Il n’y a donc aucune raison pour que le raisonnement soit différent au regard d’une décision du premier degré.
Une autre leçon qui semble pouvoir être tirée de cette décision est que le juge judiciaire n’est pas lié par la décision de l’Expert. En effet, le refus d’une « voie parallèle » met en exergue l’indépendance entre les deux procédures, judicaire et extrajudiciaire. Il serait donc illogique de considérer qu’un juge judicaire soit lié par une décision de Nominet. Rappelons à ce propos que le juge américain a eu très tôt l’occasion d’affirmer son indépendance par rapport à toute décision UDRP[1].
Finalement, cette indépendance entre les deux procédures les protège l’une de l’autre. En effet, le juge et l’Expert ne statuent pas de la même façon puisque ce dernier ne peut connaître que de l’enregistrement abusif du nom de domaine. Si le réexamen des décisions extrajudiciaires avait été autorisé, cela aurait signifié que le juge aussi pouvait connaître du caractère abusif d’un enregistrement. Or, cela aurait créé des interférences avait d’autres champs du droit, comme le droit des marques. Celui-ci ne distingue pas selon qu’un enregistrement a été abusif ou pas, ne s’intéressant qu’à la notion de contrefaçon. Autoriser un réexamen aurait alors introduit une nouvelle exception non prévue dans les textes.
[1] United States District Court, Eastern District of Virginia, Alexandra Division, May 10, 2001, Dan Parisi v. NetLearning Inc.