Le 6 novembre 2013, la Chambre de Commerce Internationale de Paris a publié une décision importante pour le processus développement des nouvelles extensions : les experts désignés ont rejeté l’objection limitée d’intérêt public (Limited Public Interest objection) déposée par l’Objecteur Indépendant à l’encontre de la postulation de la société Afilias ltd à la délégation de l’extension .HEALTH (voir décision sur http://newgtlds.icann.org/sites/default/files/drsp/15nov13/determination-1-1-868-3442-en.pdf).
Cette décision est une première : il s’agit de la première décision rendue à la suite d’une objection basée sur l’intérêt public.
Pour rappel, 4 types d’objections étaient disponibles pour s’opposer à la délégation d’une des nouvelles extensions : les String Confusion Objections, les Legal Rights Objections, les Community Objections et enfin les Limited Public Interest Objection (http://newgtlds.icann.org/en/program-status/odr).
Les objections basées sur l’intérêt public ne peuvent être déposées que par l’Objecteur Indépendant quand il estime que l’extension était « contraire à la moralité et à l’ordre public définis par les principes généraux du droit international » (Guide du postulant, art 3.5.3). Cette formule recouvre les actions violentes injustifiées, le racisme, la pédopornographie ainsi que tout ce qui serait contraire aux principes du droit international selon les conventions internationales (précisées dans le Guide du déposant, 11 au total, allant de de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme à la Convention sur les Droits de l’Enfant).
L’Objecteur Indépendant a pour mission de défendre les intérêts des utilisateurs du réseau Internet et doit être représenté devant la Chambre de Commerce Internationale de Paris (CCIP). Nommé par l’ICANN en mai 2012, l’Objecteur Indépendant est actuellement le Professeur Alain Pellet (site officiel http://www.independent-objector-newgtlds.org).
Ainsi, l’Objecteur Indépendant, considérant que la délégation du .HEALTH à la société Afilias ltd serait contraire aux intérêts des internautes, a déposé une objection à son encontre. Pour l’Objecteur Indépendant, le terme « health » (« santé » en anglais) ne désigne pas quelque chose d’anodin mais « un besoin crucial et existentiel pour chaque être humain » reconnu comme droit fondamental dans plusieurs Conventions internationales, telle la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme de 1948.
Se basant sur ce constat, l’Objecteur Indépendant affirme que l’utilisation qui serait faite du mot « health » par Afilias ltd ne respecterait pas le droit fondamental de l’accessibilité à la santé, n’assurerait pas la promotion de ce droit dans l’intérêt public et serait traité à l’instar des autres extensions auxquelles la société Afilias ltd a candidaté, telles « .wine » ou « .casino ». En outre, il rapporte que plusieurs ONG, mais également les gouvernements Français et Malien, ont exprimé leur inquiétude quant à la fiabilité et la loyauté d’une extension .HEALTH en cas de délégation à une entreprise privée.
Pour sa défense, Afilias ltd met en avant le fait que l’extension .HEALTH ne pouvait aucunement être considérée comme « contraire à la moralité et à l’ordre public définis par les principes généraux du droit international » et qu’une appréciation de ce caractère sur l’éventuel usage de l’extension, et non sur l’extension elle-même, dépasse les prérogatives du mandat de l’objecteur.
De plus, Affilias ltd met en avant les différentes procédures de protection des droits qu’elle a volontairement mis en place, notamment une hotline de non-conformité au .HEALTH et des moyens de communication spécifiques avec les autorités nationales et les organisations internationales afin de s’assurer que le fonctionnement du .HEALTH soit réalisé en accord avec les règles applicables.
Les experts de la CCIP rejettent l’interprétation d’Afilias ltd. Ils affirment qu’ils ne peuvent évaluer la compatibilité d’une extension avec l’ordre public et la moralité sans prendre en compte le contexte de la demande, y compris les effets probables du fonctionnement de l’extension sur les internautes. Ils reconnaissent également que l’extension .HEALTH opère dans un domaine sensible dans lequel les risques de négligence ou d’abus, comme la fraude, sont particulièrement élevés. Les parties sont en accord sur ce point, considérant que le mot « health », lié au secteur de la santé, génère un haut degré de confiance des consommateurs en leur faisant croire que les informations disponibles sous un tel nom de domaine sont scientifiquement prouvées.
Néanmoins, les experts ne partagent pas la méfiance de l’Objecteur Indépendant envers la gestion de l’extension .HEALTH par une entreprise privée. Les experts affirment qu’en l’absence de preuves, ils ne peuvent soutenir l’assertion de l’objecteur selon laquelle une entreprise privée ne peut, sérieusement et de manière responsable, gérer cette extension. Par ailleurs, les experts font remarquer à l’objecteur que, même si quelques ONG et deux pays (la France et le Mali) appuient cette vue, l’Organisation Mondiale de la Santé, jouissant d’une position unique dans le cadre de la santé publique au niveau international, a implicitement rejetée cette position.
Sur la base de ces éléments, les experts de la CCIP rejettent l’objection.
L’importance de cette décision ne se résume pas à sa nouveauté : elle fournit de précieux éléments d’appréciations des objections limitées basée sur l’intérêt public. Ainsi, il est désormais admis que les objections basées sur l’intérêt public ne seront pas appréciées uniquement sur leur formulation mais également sur leurs usages potentiels.