business-dreyfus-81-150x150La jurisprudence sur l’utilisation d’internet à des fins de preuve est une problématique très vivante. Il s’agit ici de déterminer la valeur à accorder aux preuves obtenues par le biais du site archive.org géré par Internet Archive, organisation à but non lucratif, qui se targue d’avoir sauvegardé 450 milliards de pages internet avec sa wayback machine. Le système d’archive.org permet en effet de fournir un instantané du contenu d’une page internet avec une fiabilité assez haute. Alors même que le contenu d’une adresse url peut avoir changé, le système d’archive.org permet d’éviter ce risque de modification dans le temps et de consulter une page internet telle qu’elle apparaissait jusque des années auparavant.

 

Au niveau national, comme nous vous en parlions déjà le 28 avril 2011, les juges sont nettement réfractaires à ce type de preuves. France[1], Etats-Unis[2], mais aussi Allemagne[3] ont vu leurs tribunaux respectifs refuser un tel moyen de preuve en raison de l’absence de légalité de l’organisme émetteur des archives ou encore du manque de fiabilité des dates obtenues. A l’inverse, les organes juridiques supranationaux (centre d’arbitrage de l’OMPI, Office Européen des Brevets) se sont souvent montrés plus flexibles sur ce point[4].

 

Si la situation n’a pas évolué au niveau national, la jurisprudence de l’Office Européen des Brevets en la matière a connu un changement récemment. Le 21 mai dernier la chambre de recours de l’OEB (T 0286/10) a rendu une décision concernant la prise en compte des archives de la wayback machine dans une affaire d’opposition à un brevet. En l’espèce, la requérante conteste la décision de la chambre d’opposition en ce qu’elle celle-ci a maintenu le brevet comme délivré.

 

La chambre de recours s’inscrit expressément en opposition avec la décision T 1134/06 qui requérait de produire une authentification issue de l’émetteur des archives. Cela n’est désormais plus nécessaire: « il n’y a pas de base légale pour un régime différent de celui régissant les divulgations de l’art antérieur en général. » La décision du 21 mai cite à son appui les décisions T 2339/09 et T 990/09 qui elles aussi sont en rupture avec la décision T1134/06.

 

La chambre de recours estime qu’il n’y a aucune raison de considérer les dates fournies par archives de l’internet comme inexactes, à charge pour le défendeur de prouver «  de nouveaux éléments de nature à jeter la suspicion et apporter une preuve contraire destructrice de la présomption ».

 

La chambre précise par ailleurs que, bien qu’incomplète la bibliothèque d’archives, de par sa popularité et sa réputation, « présente des garanties suffisantes pour bénéficier d’une présomption de source d’information fiable et de confiance » la charge de la preuve du contraire est à la partie adverse.

 

Cette décision de l’OEB va donc plus en amont dans l’acceptation de preuves fournies par un système d’archives et dans la légitimité accordée au site archive.org. Néanmoins, la route tendant à faire évoluer les considérations nationales, et notamment françaises, semble (très) longue tant l’entité émettrice des captures d’écran paraît illégitime aux yeux des juges nationaux.

 

[1]  CA Paris, 2ème Ch., 2 juillet 2010, « Saval, Établissements Laval c/ Home Shopping Service (HSS) »

[2] « Novak v. Tucows », No. 04-CV-1909, 2007 U.S. Dist. Lexis 21269 (E.D.N.Y. March 26, 2007) ;  « Telewizja Polska USA, Inc. v. Echostar Satellite », Memorandum Opinion and Order, Case No. 02C3293 (N.D. III. Oct. 14,2004)

[3]  BPatG 17W (pat) 1/02

[4]  http://www.wipo.int/amc/en/domains/decisions/html/2008/d2008-1768.html et décision de l’OEB T 1134/06