Si l’art et le droit sont deux univers en apparence opposés, ils sont en réalité intimement liés car les artistes, de manière générale, sont tous très attachés à la reconnaissance et au respect de leurs œuvres. Juridiquement, les droits d’auteur constituent à ce jour l’outil le plus efficace pour garantir aux auteurs le respect de leurs œuvres. Ces droits d’auteurs sont formés de droits patrimoniaux et de droits moraux. Si les droits patrimoniaux sont couramment cédés à des éditeurs, producteurs et autres professionnels, les droits moraux appartiennent quant à eux ad vitam aeternam à son auteur, ensuite à ses héritiers. En effet selon l’article L. 121-1 al. 2 du Code de la Propriété Intellectuelle le droit moral est perpétuel, imprescriptible et inaliénable.
Récemment l’architecte Jean Nouvel, auteur de l’établissement culturel de la Philharmonie de Paris, a justement considéré, qu’en raison de travaux apparemment mal entrepris, ses droits moraux sur l’œuvre n’auraient pas été respectés. Après une tribune au Monde relatant ses déceptions quant au projet dont l’ouverture au public semblait prématurée, il a donc décidé de poursuivre la Philharmonie de Paris pour que le rendu final corresponde fidèlement à sa vision d’origine. Son avocate précise ainsi qu’il demande à la cour que soit ordonné des « travaux modificatifs » à l’ouvrage pour que les vingt-six « non-conformités » par rapport au dessin initial soient corrigées. L’architecte ne réclame par ailleurs pas d’indemnisation, ce qui renforce le caractère symbolique du droit moral.
Alors que le complexe destiné à la musique est ouvert depuis le 14 janvier, son chantier n’est en effet pas terminé. Jean Nouvel avait lui-même affirmé que « le bâtiment a été ouvert dans un planning ne permettant pas de respecter les exigences architecturales et techniques ». Suite aux problèmes financiers conséquents d’un projet financé à 100% par l’argent public, l’architecte avait alors également ajouté que l’architecture du bâtiment est « martyrisée, les détails sabotés, les contribuables auront donc à payer, une fois encore, pour corriger ces aberrations décisionnelles ». Par conséquent l’architecte a souhaité faire valoir son droit moral, notamment le droit au respect de son œuvre.
Sur ce sujet, la cour de cassation a déjà apporté plusieurs éléments d’appréciation aux juges du fond, dans plusieurs affaires relatives aux droits moraux sur des œuvres architecturales. En effet, dans un arrêt du 11 juin 2009, elle énonce qu’il « appartenait [à la Cour d’appel] de rechercher si par leur nature et leur importance les modifications réalisées avaient ou non excédé ce qui était strictement nécessaire et étaient ou non disproportionnées au but poursuivi par le propriétaire ». Cette position est donc restée inchangée puisqu’un arrêt du 7 janvier 1992 affirmait déjà que la « vocation utilitaire du bâtiment commandé à un architecte interdit à celui-ci de prétendre imposer une intangibilité absolue de son œuvre, à laquelle son propriétaire est en droit d’apporter des modifications lorsque se révèle la nécessité de l’adapter à des besoins nouveaux ; qu’il appartient néanmoins à l’autorité judiciaire d’apprécier si ces altérations de l’œuvre architecturale sont légitimées, eu égard à leur nature et à leur importance, par les circonstances qui ont contraint le propriétaire à y procéder ».
Les juges du fond du Tribunal de Grande Instance de Paris, qui s’appuieront probablement sur ces jurisprudences, auront donc à fixer le sort de la Philharmonie de Paris dont la conception avait été attribuée en 2007 à Jean Nouvel.