Récemment alertée par les pratiques cruelles réservées aux crocodiles dont la peau est utilisée pour la confection des fameux sacs Birkin de la maison Hermès, la chanteuse Jane Birkin a fait part à Hermès de sa volonté de débaptiser le sac en crocodile portant son nom. La chanteuse souhaite ainsi que son nom ne soit plus associé à de telles pratiques.
Le sac Birkin, créé au début des années 1980 à la suite d’une rencontre entre la chanteuse et le président d’Hermès à l’époque, Jean-Louis Dumas, est pourtant l’un des sacs phares de la maison Hermès depuis la date de sa création.
Si ce fait divers a éveillé la curiosité des adeptes de la marque de luxe Hermès, il a également attisé la curiosité des juristes. En effet, face à une telle annonce, la question qui se pose est celle de savoir si la chanteuse Jane Birkin peut légalement faire débaptiser le sac en crocodile.
Le fait de baptiser un sac de créateur du nom d’une star n’est pas une pratique isolée, il existe ainsi pléiade de sacs portant le nom de leur muse. Pour ne citer que les plus célèbres, on relève le So Kelly de chez Hermès en hommage à Grace Kelly, le Jackie de Gucci, le Lady Dior, ou encore le B. Bardot de Lancel.
Ces noms étant associés à des sacs, autrement dit à des produits, ils ont naturellement fait l’objet d’un enregistrement en tant que marques. C’est le cas par exemple du nom Birkin, déposé et enregistré en tant que marque française et internationale par HERMES INTERNATIONAL depuis 1997, ainsi que du « so kelly » déposé en 2009. Il en va de même du « Jackie » faisant référence à Jackie Kennedy, déposé par la maison italienne GUCCIO GUCCI en 2008.
La pratique consistant à enregistrer en tant que marque un nom patronymique a été admise par la législation et la jurisprudence française depuis longtemps.
Le nom patronymique constitue un droit de la personnalité inaliénable et imprescriptible. Pourtant l’article L.711-1 alinéa 2 a) du Code de la propriété intellectuelle prévoit que les noms patronymiques peuvent être enregistrés à titre de marque. En outre depuis l’arrêt Bordas de 1985 (Cass. Com. 12 mars 1985, N°84-17163), il est admis qu’une convention puisse porter sur l’utilisation commerciale d’un nom patronymique.
Par la suite, la cour de cassation est venue préciser les conditions aux termes desquelles un nom patronymique pouvait être enregistré à titre de marque. Dans un arrêt du 6 mai 2003 (Cass. Com. N°00-18192), la cour de cassation a ainsi considéré qu’un associé fondateur qui aurait donné son accord pour l’insertion de son patronyme dans la dénomination sociale de la société doit également expressément renoncer à ses droits patrimoniaux et autoriser la société à déposer ce patronyme à titre de marque. Autrement dit, l’usage du nom patronymique d’un tiers est limité à ce qui a été expressément autorisé par le titulaire du nom.
Par la suite la cour de cassation est intervenue dans le cadre de l’affaire Inès de la Fressange au sujet de l’usage, par la société de mode portant son nom, de son patronyme à titre de marque. Après avoir été licenciée de la société, la créatrice de mode avait tenté de recouvrer ses droits sur son nom en invoquant la déceptivité de la marque sur le fondement de l’article L. 714-6 b) du Code de la propriété intellectuelle. Elle prétendait que les consommateurs seraient induits en erreur en croyant acheter des vêtements dessinés par elle. Mais ce ne fut pas la position adoptée par la cour de cassation qui, sur la base de l’article 1628 du Code civil et de la garantie d’éviction, débouta la créatrice de sa demande (Cass. Com. 31 janvier 2006, N°05-10116).
Quelques mois plus tard, la Cour de Justice de l’Union Européenne a elle aussi été saisie d’une question similaire dans l’affaire Elizabeth Emanuel (CJCE. 30 mars 2006. Aff. C-259/04. Elizabeth Florence Emanuel c/ Continental Shelf). Dans cet arrêt il était question de la cession par la créatrice de mode Elizabeth Emanuel, de son entreprise portant son nom ainsi que des actifs y étant attachés, dont la marque ELIZABETH EMANUEL. Or suite à la cession, la créatrice de mode a déposé une demande en déchéance à l’encontre de la marque cédée estimant, tout comme Madame de la Fressange, que le public était victime d’une confusion dans la mesure où elle n’était plus la créatrice des vêtements commercialisés sous la marque.
La Cour a considéré que la marque ELIZABETH EMANUEL n’était pas à elle seule de nature à tromper le public sur la provenance des vêtements. Mais selon la Cour, il appartient au juge national de vérifier qu’il n’existe pas une volonté de la part de l’entreprise titulaire de la marque de faire croire au consommateur que la créatrice participe toujours à la conception des vêtements. Il s’agirait alors d’une manœuvre dolosive susceptible d’engager la responsabilité de la société.
En l’occurrence, Jane Birkin n’étant pas associée à la conception du sac elle ne saurait se baser sur cette solution pour obtenir que le sac en crocodile soit débaptisé.
Reste donc à savoir si cette volonté de débaptiser le sac Birkin en crocodile pourra être réalisée dans la mesure où le nom patronymique de la chanteuse, enregistré à titre de marque, pourrait être considérée comme partie intégrante de l’actif de la société Hermès.
En outre, le 11 septembre dernier le sellier se félicitait dans un communiqué de presse que Jane Birkin semblait satisfaite par les dispositions prises par la maison Hermès suite à polémique apparue cet été.