3Il est essentiel pour une entreprise, quelle que soit sa taille, de protéger ses créations, ses investissements et son business. La bonne gestion de son portefeuille de marques ou de brevets et la protection de ses droits participent au bon développement d’une société et de ses affaires.

Depuis plusieurs années, le monde de la propriété industrielle connait le phénomène des « patent trolls » ou Non Practicing Entity (personne morale sans activité, ndlr) dont l’objectif est de constituer un portefeuille de brevets pour ensuite les opposer à de potentiels contrefacteurs et en leur proposant de conclure des contrats de licence sous la menace d’actions judiciaires en contrefaçon et en cessation. Ces patent trolls n’exercent pas d’activité de production et ne sont pas des concurrents de leurs victimes. Leur seul but est la valorisation financière de leurs titres par la concession de licence à des prix exorbitants. On peut citer à titre d’exemple les nombreux procès qui ont opposé l’entreprise Apple à VirnetX, un troll connu aux Etats-Unis pour tirer ses revenus uniquement des procès qu’il fait contre de grandes sociétés comme Apple, Microsoft, Cisco ou encore Siemens. Ainsi, Apple a été condamné le 30 septembre 2016 par la Cour fédérale du Texas à payerplus de 302 millions de dollars à VirnetX pour avoir utilisé sans permission le brevet de ce dernier concernant la sécurité sur internet. Déjà, en 2013, Apple avait été condamné à dédommager VirnetX à hauteur de 368 millions de dollars pour avoir contrefait ses brevets en créant FaceTime et en utilisant son propre VPN dans iOS.

Du patent trolling au trademark trolling

Si cette activité des patent trolls existe toujours, elle a également évolué vers le « trademark troll » (ou « marque troll » en français). Sur le même système, ce sont des personnes ou des sociétés qui enregistrent des marques sans intention de les utiliser pour un commerce quelconque ni de produire aucun bien ou service, mais qui s’en serviront comme moyen de pression contre des compagnies dont les marques ont été « volées » par ces trademark trolls.

Toutes les sociétés sont visées par cette pratique, notamment les grandes entreprises détentrices de marques notoires, mais aussi et surtout les PME et les start-ups.

Aux Etats-Unis, la société 47 / 72 Inc. a déposé un grand nombre de marques auprès de l’Office américain des marques et des brevets (l’USTPO) qui rappelait très fortement des marques notoires ou encore des phrases ou mots connus et largement utilisés sur internet. Ainsi, le 27 avril 2016, 47 / 72 Inc. a déposé le signe « OH SNAP! CHAT. » pour la classe 35. On y voit bien évidemment ici une référence à la marque « SNAPCHAT » déposée par la société du même nom et correspondant au réseau social en vogue depuis quelques années. La demande de dépôt de la marque « OH SNAP! CHAT. » est toujours en examen car l’examinateur a relevé un risque de confusion avec le signe « SNAPCHAT » déposé le 4 mai 2015 par la société Snap Inc. (anciennement Snapchat) pour les classes 35 et 42. La société 47 / 72 Inc. a déposé bien d’autres signes comme « PERISCOPE », « 99 PROBLEMS », « HATERS GONNA HATE », etc.

 Les trademark trolls

Traditionnellement, le trademark troll joue avec des marques notoires en les déposant dans des pays où la marque n’a pas encore été enregistrée. La marque sera alors enregistrée pour des produits et services relativement similaires à ceux développés par l’entreprise. Ainsi, lorsque cette dernière souhaitera s’implanter dans le pays en question en déposant sa marque, elle se trouvera confrontée au déposant qui lui réclamera de l’argent en échange d’une cession de licence sur la marque sous peine d’une action en justice pour contrefaçon.

Mais cette pratique peut également toucher de plus petits business qui ont vocation à s’étendre à l’étranger dans un futur proche.

De la même manière, le trademark troll peut enregistrer une marque dans son pays alors que la marque d’origine est encore en examen dans le pays d’origine et que son titulaire ne l’a déposée dans aucun autre pays. Le trademark troll empêchera alors l’accès au commerce de son pays pour la marque en question et les produits concernés, à moins que le titulaire ne le paie pour obtenir une licence.

Dans un tel cas de figure, il est conseillé aux titulaires des marques d’origine d’identifier, avant le lancement du produit ou du service correspondant à la marque, les pays et les classes dans lesquels il sera impératif de déposer le plus rapidement possible la marque.

Une attention particulière doit être portée aux pays « premier à déposer », dans lesquels n’importe qui peut déposer une marque, peu importe qu’elle soit mondialement  connue et déjà déposée dans plusieurs pays, ou que le déposant n’ait aucune intention réelle d’utiliser la marque.

L’exemple de la Chine

La Chine est un pays particulièrement visé par la pratique du trademark trolling et les exemples ne manquent pas.

Ainsi, la société de vin française Castel Frères SAS a été confrontée à ce procédé lorsque la société Li Dao Zhi a enregistré le signe « Ka Si Te », traduction chinoise de « Castel ». Or, la société Castel, qui avait commencé à vendre ses produits en 1998 en Chine, n’a déposé le signe « Zhang Yu Ka Si Te » qu’en 2002. Ayant appris que Li Dao Zhi était titulaire de la marque KA SI TE depuis 2000, Castel Frères SAS a demandé l’annulation de l’enregistrement de la marque pour non-usage en 2005. Mais avant cette demande, la société chinoise avait commencé à faire usage de sa marque. Elle a donc poursuivi Castel Frères SAS pour contrefaçon. La société française a alors été condamnée par les tribunaux chinois à arrêter toute vente de ses produits et à payer 5 millions de dollars à Li Dao Zhi. L’entreprise française a été forcée d’obtenir une licence d’utilisation auprès de la société chinoise pour continuer à utiliser sa marque et à vendre ses produits dans le pays.

Le 1er mai 2014, la Chine a adopté une nouvelle loi sur les marques avec des directives plus claires sur la reconnaissance et la protection des marques notoires en Chine afin de lutter contre le trademark troll. Les trolls s’avèrent souvent être les agents mandatés par les titulaires pour déposer une marque et abusent du système « premier à déposer ». La loi doit alors imposer des conditions de bonne foi et de confidentialité aux agents et leur interdire de déposer une marque en dehors de leurs mandats ou s’ils ont eu connaissance de l’existence d’une marque similaire. Cependant, cette loi reste insuffisante puisque les trolls ne sont pas toujours des agents mais des personnes lambda sans lien avec le titulaire de la marque.

L’affaire Castel Frères SAS est aujourd’hui entre les mains de la Cour suprême chinoise qui a suspendu l’amende et réexamine le litige.

En outre, dans une autre affaire médiatisée datant de 2012 et impliquant Apple Inc. et l’iPad en Chine, la société américaine avait fini par payer 60 millions de dollars à l’entreprise chinoise Proview Technology afin de pouvoir utiliser la marque pour ses produits en Chine.

La problématique des marques trolls est actuelle et peut concerner tous les titulaires de marques, que ce soit des grosses entreprises, des PME ou des starts-up. Chacun doit être vigilant à ses droits de propriété intellectuelle ainsi qu’aux pays dans lesquels le(s) produit(s) ou service(s) concernés seront commercialisés. En effet, le phénomène des trademark trolls peut s’étendre aux noms de domaine, directement touchés par l’utilisation d’une marque, et donc à l’image de la marque sur l’Internet, auprès des internautes.

Nous vous invitons également à en apprendre plus sur le phénomène des trademark zombies avec notre article : La marque Zombie : résurrection d’un signe distinctif disposant d’une certaine notoriété.