Dans un arrêt du 5 avril 2018 (n°16-19655), les juges de cassation ont apporté des précisions concernant les critères d’appréciation du risque de confusion dans l’esprit du public précisément dans les conflits entre marque et dénomination sociale.
L’affaire oppose d’une part les sociétés Capstone System Industry et Capstone Properties et d’autre part la société Capstone ayant chacune une activité dans le domaine de l’immobilier. Cette dernière a déposé les marques semi-figuratives « Capstone » et « Capstone l’immobilier neuf » qui ont fait l’objet d’actions en annulation par les deux sociétés précitées au motif que ces marques portent atteinte à leur dénomination sociale antérieure. Ces dernières se fondent sur l’article L711-4 du Code de la propriété intellectuelle qui dispose que ne peut être adopté à titre de marque un signe portant atteinte à des droits antérieurs et notamment une dénomination sociale.
Si la Cour de justice, dans l’affaire des couteaux Laguiole du 5 avril 2017, avait déjà apporté des précisions sur le conflit entre dénomination sociale antérieure et marque, les deux juridictions ne regardent pas le problème sous le même angle et ces décisions apparaissent alors comme complémentaires. D’une part, la Cour de justice rappelle que l’appréciation du risque de confusion doit prendre en compte l’activité réelle de la société qui agit sur la base d’une dénomination sociale antérieure et non celle désignée dans les statuts. Une position qui avait déjà été adoptée par les juridictions françaises et notamment dans l’arrêt Cœur de Princesse du 10 juillet 2012 où la Cour de cassation avait énoncé que «la dénomination sociale ne bénéficie d’une protection que pour les activités effectivement exercées par la société et non pour celles énumérées dans ses statuts ». D’autre part l’arrêt de la Cour de cassation de 2018 est l’occasion de se placer du côté de la marque pour apporter des précisions au sujet de l’appréciation du risque de confusion. Dans le cadre d’un tel conflit, seuls les produits et services visés dans le dépôt de marque doivent être pris en considération. A contrario, l’activité effective de la marque n’aura pas d’impact sur l’issue du litige. Ainsi, les juges de cassation reprochent aux juges d’appel de s’être fondés sur l’activité effectivement exercée par le titulaire et sur les conditions d’exploitation des marques.
Par ailleurs, ce nouvel arrêt de la Cour de cassation permet de rappeler que l’évaluation du risque de confusion doit s’apprécier de façon globale, sur une impression d’ensemble produite par les dénominations sociales antérieures invoquées et la marque. En l’espèce, les juges de cassation reprochent aux juges d’appel de ne pas avoir caractérisé les raisons pour laquelle ils ont écarté le terme « Capstone » dans l’appréciation du risque de confusion.
Enfin, l’arrêt énonce que les éléments étrangers aux signes antérieurs invoqués, notamment les logos ne doivent pas être pris en considération. En effet, les juges de cassation font grief aux juges d’appel de s’être fondés sur la différence apparente entre la charte graphique et calligraphique de la marque semi-figurative « Capstone L’immobilier neuf » et le logo de la société Capstone Properties.
En prenant en considération le logo choisi par la société ayant pour dénomination sociale « Capstone Properties », la cour d’appel s’est fondée sur un élément étranger aux signes antérieurs invoqués or elle aurait dû se limiter à la dénomination sociale au sens strict, c’est-à-dire à l’élément verbal.
Ainsi, cette décision est riche d’enseignements en ce qu’elle permet d’appréhender l’appréciation des juges lorsqu’une dénomination sociale est susceptible de constituer un droit antérieur à une marque.
La Cour de justice et la Cour de cassation ont antérieurement adopté une attitude pragmatique et pratique dans l’appréciation du risque de confusion lorsque l’on se place du point de vue de la dénomination sociale en retenant l’activité effective de l’entreprise. Cet arrêt de la Cour de cassation semble au contraire rester sur une appréciation plus théorique en ce qui concerne la marque. La Cour ne retient en effet que les produits et services indiqués dans le dépôt de marque pour caractériser l’activité du titulaire de la marque. Au sujet de la marque, l’activité réelle sera alors laissée, on le comprend, à l’action en concurrence déloyale. Il s’agit donc de porter une attention particulière à l’action que l’on engage et aux bons fondements à invoquer.