Le 15 février dernier, le Gouvernement français a rendu public les projets de transposition de la Directive (UE) 2015/2436 du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2015, dites « Paquet Marques », harmonisant et modernisant le droit des marques entre les Etats membres de l’Union Européenne.
Cette réforme, entrée en vigueur le 23 mars 2016, a conduit à l’adoption de deux nouveaux textes législatifs :
- Le Règlement 2015/2424, modifiant les règlements 207/2009/CE et 2868/95/CE, devenu pleinement effectif depuis le 1er octobre 2017.
- La Directive (UE) 2015/2436 du 16 décembre 2015, modifiant la Directive 2008/95/CE. Cette dernière doit être transposée au sein des législations nationales dans un délai de trois ans, soit avant le 14 janvier 2019.
Les projets d’ordonnance publiés le 15 février dernier arrivent donc avec un mois de retard. Ils apportent des modifications majeures aux parties législative et réglementaire du Code de la Propriété Intellectuelle. Ils impactent également le Code de l’Organisation Judiciaire et le Code de la Consommation.
Il est donc indispensable de se pencher sur les principales modifications que pourrait subir notre Code de la Propriété Intellectuelle.
Les motifs de refus d’une demande d’enregistrement sont élargis. Ainsi, si les signes contraires à l’ordre public ou aux bonnes mœurs, ou encore les signes trompeurs quant à la nature, la qualité ou la provenance du produit ou du service étaient déjà exclus de l’enregistrement, l’ordonnance y ajoute :
- Les appellations d’origine ;
- Les indications géographiques ;
- Les dénominations de variétés végétales antérieures enregistrées ;
- Les demandes effectuées de mauvaise foi par le déposant.
Ces motifs de refus sont donc désormais expressément inscrits dans le texte modifié de l’article L. 711-3 du Code de la Propriété Intellectuelle.
Le projet d’ordonnance, conforme à l’objectif du « Paquet Marques », supprime certaines spécificités nationales, rapprochant ainsi le droit français du droit du l’Union Européen. Ainsi, l’exigence de représentation graphique figurant à l’article L. 711-1 est supprimée. Cette suppression devrait permettre de déposer notamment des fichiers sonores, multimédias, marques en mouvements…, à l’instar de ce qui est possible depuis 2017 auprès de l’EUIPO (Office européen des marques et modèles).
De la même façon, la procédure d’opposition à l’encontre d’une marque française est modifiée et se rapproche de celle qui existe à l’Office européen des Marques (EUIPO).
Les droits antérieurs susceptibles d’être invoqués dans une opposition sont étendus – Modification de l’article L. 712-4 du CPI. Désormais, une opposition à une demande d’enregistrement pourra être fondée sur :
- Une marque notoirement connue ou une marque de renommée, lorsque la marque contestée est de nature à tirer injustement profit de la renommée de la marque ou de lui porter préjudice ;
- Une dénomination sociale ou une raison sociale ;
- Une indication géographique ;
- Le nom, l’image ou la renommée d’une collectivité territoriale, d’une institution, d’une autorité ou d’un organisme de droit public.
Le projet d’ordonnance ajoute que l’opposition pourra être basée sur plusieurs droits appartenant au même titulaire, comme c’est déjà le cas dans les procédures d’oppositions devant l’EUIPO pour les marques de l’Union européenne.
Le déroulement de la procédure d’opposition est également modifié. Pendant un délai de deux mois suivant la publication de la demande d’enregistrement, une opposition formelle à la demande d’enregistrement peut être faite auprès du directeur de l’INPI en cas d’atteinte à un des droits antérieurs. Il s’agit d’une déclaration d’opposition à une demande d’enregistrement, constituée avec seulement les informations sur l’identité des parties et de le marque mise en cause, mais sans l’exposé des moyens. Le projet modifie en ce sens les articles L. 712-4 et R. 712-14 du Code de la Propriété Intellectuelle : en plus du délai habituel d’opposition formelle, l’opposant dispose d’un mois supplémentaire pour fournir l’exposé des moyens sur lesquels repose l’opposition, ainsi que certaines preuves.
La décision sera alors rendue après une procédure contradictoire comprenant une phase d’instruction, mettant en œuvre un débat entre l’opposant et le titulaire de la demande d’enregistrement contestée.
Le régime de protection des marques de certification et des marques collectives est modifié – Modification des articles L. 715-1 et suivants. Le projet d’ordonnance créé en effet de nouveaux articles portant sur le régime de ces deux types de marques.
Le contentieux en matière de nullité ou de déchéance de marques est précisé. Les articles L. 716-1 à L. 716-5 sont créés, modifiés, renumérotés, et l’ordonnance propose ainsi de nombreux changements :
- L’action en nullité formée par le titulaire d’une marque antérieure peut être rejetée si, sur requête du titulaire de la marque postérieure, il ne peut rapporter la preuve de l’usage sérieux de la marque antérieure pendant la période de 5 ans précédant la demande.Il sera donc désormais possible de se défendre, lors d’une action en nullité à l’encontre de sa marque, en s’appuyant sur le manque d’usage sérieux de la marque antérieure.
- Les actions en nullité deviennent imprescriptibles (Article L. 716-2-6) à l’exception de celles fondées sur une marque notoirement connue au sens de la Convention d’Union de Paris (article 6 bis) qui se prescrivent par 5 ans à compter de la date d’enregistrement de la marque contestée, et à l’exception de la tolérance de la marque postérieure par le titulaire des droits antérieurs pendant une période d’au moins 5 ans. Cette disposition sera inscrite à l’article L. 716-2-6 du Code de la Propriété Intellectuelle.
- Précision du point de départ de la prescription de l’action en contrefaçon. Selon le nouvel article L. 716-4-2. Il s’agit de 5 ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître le dernier fait lui permettant de l’exercer.
A ces dispositions, on peut ajouter que la modification de l’article L. 714-5 précise le point de départ du délai de déchéance pour non-usage. Si l’on savait que le défaut d’usage d’une marque devait durer sur une période ininterrompue de 5 ans pour être un motif de déchéance, le point de départ de cette période était parfois obscur du fait d’une jurisprudence fluctuante. Le projet pose ainsi explicitement le principe selon lequel le délai court au plus tôt à partir de la date de publication de l’enregistrement de la marque.
La procédure d’action en nullité ou en déchéance de marque est simplifiée, grâce à l’instauration d’une procédure administrative devant l’INPI. L’ancien article L. 713-6 devient l’article L. 716-5. Ainsi, les actions en déchéance et les actions en nullité formées à titre principal (dès lors que l’action en nullité est fondées sur des motifs de nullité absolue ou certains motifs de nullité relative) relèveront désormais de la compétence exclusive de l’INPI, sous réserve qu’un contentieux judiciaire ne soit pas déjà en cours entre les parties. Le cas échant, le juge restera exclusivement compétent. De la même façon, les autres actions civiles et autres demandes relatives aux marques, comme les actions en nullité et les actions en déchéance de marque formées à titre reconventionnel, relèveront toujours de la compétence exclusive des tribunaux de grande instance.
Cette nouvelle procédure auprès de l’INPI devrait entrer en vigueur au premier trimestre 2020.
Enfin, le dernier point notable du projet d’ordonnance est la modification de la date de renouvellement d’une marque française, inscrite à l’article R. 712-24 modifié. En principe, une marque peut être renouvelée jusqu’au dernier jour du mois d’expiration et dans un délai de grâce additionnel de six mois. Le projet d’ordonnance prévoit que la demande de renouvellement peut être faite, au plus tôt, un an avant l’expiration de la marque, et au plus tard dans un délai additionnel de six mois à compter du lendemain de la date d’expiration – moyennant évidemment le paiement d’un supplément de redevance.
Conclusion
Il s’agit très probablement de la plus grande réforme de notre droit national des marques depuis la loi du 4 janvier 1991 qui transposait la Directive de 1988. Si ce projet n’est pas encore validé, il est néanmoins soumis à la consultation publique. Les différentes associations spécialisées en PI concernées par cette consultation avaient jusqu’au 20 mars 2019 pour proposer des modifications. Le projet de transposition du « Paquet Marques » devrait ensuite être adopté sous 3 mois.