Si certains noms géographiques peuvent, par exception, bénéficier d’une protection au sens des règles UDRP, rappelons qu’ils doivent pour cela être perçus comme une marque de produits ou de services sur laquelle le requérant a des droits. Or, le simple fait d’utiliser un nom géographique afin d’identifier certains produits et services en tant qu’entité territoriale ne saurait suffire à démontrer des droits sur une marque de produits ou de services au sens des principes directeurs, comme l’a justement rappelé l’expert dans la présente décision.
En l’occurrence, il était question du nom géographique Solothurn (en français, Soleure), correspondant à une ville en Suisse, intégralement reproduit dans le nom de domaine <solothurn.com>, enregistré depuis 1997 et non exploité depuis, mis à part pour rediriger vers une page « pay-per-click ».
Les requérantes, la ville de Solothurn et deux associations de droit suisse promouvant essentiellement le tourisme et manifestant sans surprise un vif intérêt pour le nom de domaine <solothurn.com>, alléguaient un droit de marque non enregistrée sur le signe « Solothurn », utilisé de façon intensive au fil des ans. Elles revendiquaient également une protection de ce nom en tant que « trademark-like » au sens de la loi suisse sur la concurrence déloyale.
Elles apportaient à cet égard plusieurs documents attestant de l’usage de ce nom géographique auprès des touristes depuis 1890 et de sa reconnaissance en tant que tel. Les requérantes en déduisaient un usage du signe « Solothurn » à titre de marque afin d’identifier des services de tourisme et autres services connexes. Elles citaient par ailleurs plusieurs décisions du centre à propos des noms géographiques, décisions qui sont loin d’avoir plaidé en leur faveur.
Le défendeur, domicilié aux États-Unis, connu pour ses activités de domainer spécialisé en noms de domaine « géographiques », avait mis en vente le nom de domaine <solothurn.com>. Le défendeur a cité de nombreuses décisions sur la façon dont les noms géographiques devaient être appréciés (y compris une décision à propos du nom <rouen.com> l’impliquant) et sur la nécessité de remplir la fonction d’une marque de commerce.
Confrontés à cette affaire et à la question de savoir si les requérantes pouvaient valablement prétendre à un droit de marque non enregistrée sur le nom « Solothurn », les experts ont procédé à un examen méticuleux de la jurisprudence des décisions des experts de l’OMPI (overview) en matière de noms géographiques.
Ils rappellent en particulier que selon l’overview « les termes géographiques utilisés uniquement dans leur sens géographique ordinaire, sauf lorsqu’ils sont enregistrés en tant que marques, ne donnent pas en tant que tels qualité pour agir dans une procédure UDRP ». Ils notent également qu’en matière d’UDRP, il a généralement été difficile pour les entités affiliées ou responsables d’un territoire géographique de démontrer des droits de marque sur ce nom géographique. Or, les experts relèvent que les décisions citées par les requérantes ont toutes reconnu que le nom géographique était utilisé d’une façon purement descriptive d’une localisation géographique et non à titre de marque.
En revanche, ils notent que certains experts ont indiqué qu’un droit de marque non enregistrée sur un nom géographique pouvait être reconnu en faveur d’une autorité officielle dans des circonstances exceptionnelles. Les circonstances en question couvrent l’hypothèse, de plus en plus rare, dans laquelle le nom géographique serait utilisé en lien avec des produits et services mais sans rapport aucun avec la situation géographique à laquelle il correspond. L’idée étant que le nom commercial ne doit pas générer une association avec un lieu géographique dans l’esprit des consommateurs, mais bien une association avec des produits et services, comme le veut la fonction principale de la marque. L’on peut citer par exemple les produits de la marque Ushuaïa, sans rapport avec la Terre de Feu.
Dans le cas d’espèce, les experts relèvent que les requérantes n’ont apporté aucune preuve d’utilisation du nom « Solothurn » en lien avec des produits et services au-delà de ceux fournis par la ville de Suisse. Au contraire, les requérantes n’ont fait que souligner l’usage du nom « Solothurn » en lien avec le nom de la ville de Suisse et les activités de tourisme qui y sont proposées. Dès lors, les experts ne peuvent valablement conclure que les requérantes ont établi avoir des droits sur la marque non enregistrée Solothurn.
L’expert ajoute que les requérantes ne peuvent pas davantage se fonder sur une protection de ce nom en tant que « trademark-like » au sens de la loi suisse sur la concurrence déloyale dans la mesure où l’article 4.a. (i) des principes directeurs cite expressément la « marque commerciale ou de service ».
Finalement, la plainte est rejetée, les requérantes n’ayant pas apporté la preuve de droits de marque. Cette décision semble toutefois être nuancée par les experts qui rappellent qu’il s’agit là d’une décision rendue en vertu des principes UDRP, adaptés aux litiges entre réservataires et titulaires de marques, tandis que la solution eut pu être différente sous l’empire du droit suisse et en matière de concurrence déloyale.
La « morale » de cette décision n’est pas nouvelle, la procédure UDRP n’est pas adaptée à tous les litiges impliquant des noms de domaine et ne doit pas être systématiquement préférée aux actions judiciaires, quand bien même elle présenterait l’avantage d’être plus rapide et moins coûteuse.