*Image générée par DALL E 3 version Microsoft

Dans une décision remarquable, l’AFNIC, le registraire français des noms de domaine de premier niveau de code de pays, a transféré les droits du nom de domaine ‘porcelainefrancaisedelimoges.fr’ aux propriétaires légitimes de l’indication géographique (IG) française ‘Porcelaine de Limoges’.

Cette décision (FR-2023-03612) a des implications profondes pour la protection des indications géographiques dans le domaine numérique.

 

Contexte juridique et factuel

Le gouvernement français a introduit un système national de protection des IG pour les produits artisanaux et industriels en 2014 (Loi n° 2014-344 du 17 mars 2014). Cette loi a entraîné une vague d’enregistrements d’IG, y compris la célèbre ‘Porcelaine de Limoges’. Les producteurs de porcelaine de Limoges, avec une histoire riche remontant au 18ème siècle, ont déposé une demande d’enregistrement d’IG le 8 juin 2017, qui a été officiellement accordée le 1er décembre 2017.

Parallèlement, un individu anonyme a enregistré le nom de domaine ‘porcelainefrancaisedelimoges.fr’ le 24 février 2017. Ce nom de domaine, présentant un contenu non lié et potentiellement inapproprié, a incité les producteurs de porcelaine de Limoges à rechercher un recours juridique.

 

Le Litige et les Procédures Juridiques

Affirmant que le nom de domaine empiétait sur leurs droits, les plaignants se sont tournés vers SYRELI, un système de résolution alternative des litiges (ADR) géré par l’AFNIC. Les plaignants ont argué que l’enregistrement du nom de domaine avait été effectué de mauvaise foi, exploitant la réputation préexistante et l’enregistrement imminent de l’IG ‘Porcelaine de Limoges’, largement couvert par les médias français.

 

La Décision de l’AFNIC

L’AFNIC a noté que le nom de domaine ressemblait étroitement à l’IG enregistrée, ne différant que par l’ajout du mot ‘française’. Par conséquent, l’AFNIC a jugé que le nom de domaine constituait une usurpation et une dilution de l’IG ‘Porcelaine de Limoges’, conduisant au transfert du domaine au demandeur.

 

Commentaire et Implications

Cette affaire est remarquable pour deux raisons : la postériorité de l’IG par rapport à l’enregistrement du nom de domaine et la base du litige sur un droit d’IG.

Le cas soulève des questions importantes concernant l’applicabilité des procédures d’ADR lorsqu’une IG est enregistrée après un nom de domaine. Comment les panels d’ADR devraient-ils évaluer la réputation et la reconnaissance d’une IG qui était établie informellement mais pas encore enregistrée légalement au moment de l’enregistrement du nom de domaine ? Les preuves de la réputation pré-enregistrement et de l’intention d’enregistrer l’IG devraient-elles être considérées comme des motifs suffisants pour transférer ou révoquer un nom de domaine ?

Les panels d’ADR pourraient devoir être équipés de critères plus nuancés pour évaluer les intentions de ‘bonne foi’ des détenteurs de noms de domaine, en particulier dans les cas où le détenteur pouvait raisonnablement être conscient d’une IG bien connue mais encore à enregistrer. De plus, les systèmes d’ADR de noms de domaine de l’UE et du système UDPR n’ont pas pris en compte les IG, se concentrant principalement sur les droits de marque.

La France s’est ainsi positionnée comme pionnière dans l’évolution législative récente. Avec l’adoption du système d’indications géographiques (IG) à l’échelle de l’UE pour les métiers d’art et les produits industriels (Règlement (UE) 2023/2411) les indications géographiques enregistrées dans les litiges liés aux noms de domaine sont explicitement protégées contre le cybersquattage.

Cette évolution ne se limite pas à un simple ajustement technique des procédures légales ; elle reflète un changement plus général dans la reconnaissance de la valeur et de l’importance des IG dans l’économie mondiale et le monde numérique.

Elle reconnaît qu’une indication géographique, « Porcelaine de Limoges », mérite le même niveau de protection que les marques de commerce et les noms de société dans les litiges liés aux noms de domaine. C’est un grand pas en avant et place la France à l’avant-garde de la protection sur Internet, en particulier en ce qui concerne la propriété intellectuelle dans le domaine numérique.

À mesure que les pratiques juridiques continuent d’évoluer, cette affaire servira de référence essentielle pour les praticiens du droit des noms de domaine et de la propriété intellectuelle. Restez à l’écoute !