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Selon le principe fondamental du droit « Fraus omnia corrumpit » (la fraude corrompt tout), aucun dépôt de marque effectué de manière frauduleuse ne peut légitimement conférer un droit de protection valide au profit du déposant.
En outre, la complexité inhérente à la notion de fraude dans le domaine du droit des marques découle de son absence de définition explicite, tant en droit français, qu’en droit de l’Union européenne.
Par un arrêt du 31 janvier 2024, la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation a précisé les contours de cette notion: l’absence de risque de confusion entre la marque contestée et la marque antérieure, ainsi que l’absence d’intention de nuire de la part du titulaire de la marque contestée ne sont pas des motifs propres à écarter la fraude.
Contexte du litige
Dans cette affaire, la société Turlen a introduit auprès du Directeur général de l’INPI une demande de nullité à l’encontre d’une marque verbale reproduisant exactement le signe et couvrant divers produits et services similaires à sa marque antérieure, en arguant d’une atteinte à sa renommée et d’un risque de confusion.
La requête de cette dernière a été partiellement accueillie par le directeur général de l’INPI, qui a annulé l’enregistrement de la marque contestée pour certains produits et services tout en maintenant sa validité pour d’autres. La société Turlen a interjeté appel de cette décision devant la Cour d’appel de Paris.
Décision de la Cour d’appel
Par un arrêt du 11 février 2022, la Cour d’appel a rejeté la demande de la société Turlen, concluant qu’aucun lien susceptible de générer une confusion entre les deux marques en cause n’existait pour certains produits et services. En outre, la Cour a estimé que sans une démonstration claire de l’intention de nuire de la part du déposant, il n’était pas possible d’annuler la marque contestée pour les produits et services pour lesquels aucun préjudice aux droits antérieurs n’avait été établi. Suite à cette décision, la société s’est pourvue en cassation.
Aussi, la Cour de cassation devait déterminer si la preuve d’un risque de confusion entre une marque contestée et une marque antérieure est nécessaire pour établir l’existence d’une fraude lors du dépôt de marque ?
Interprétation stricte de la fraude
La décision de la Cour de cassation dans cette affaire représente une interprétation particulièrement stricte du concept de fraude en matière de dépôt de marque. En cassant l’arrêt de la Cour d’appel, la haute juridiction a affirmé que l’absence de risque de confusion ou de preuve d’une atteinte aux droits antérieurs n’exclut pas nécessairement l’existence de fraude lors du dépôt d’une marque.
La Cour de cassation a estimé que ni l’absence de preuve d’intention de nuire de la part du détenteur de la marque contestée, ni la validité de cette marque pour certains produits et services, ne sont des éléments suffisants pour écarter la possibilité d’une fraude lors du dépôt. La fraude, étant une cause de nullité absolue, doit être considérée indépendamment des atteintes aux droits antérieurs. La Cour de cassation a ainsi reproché aux juges du fond une application erronée des règles de droit, en ayant partiellement écarté le caractère frauduleux du dépôt de la marque contestée.
En effet, la nullité relative est applicable en cas d’atteintes aux droits antérieurs, tandis que la nullité absolue, qui inclut la fraude, affecte la validité globale de la marque. Dans cette affaire, la Cour de cassation a observé que les juges du fond ont confondu ces deux catégories de nullité, en déduisant à tort que l’absence de risque de confusion ou d’atteinte aux droits antérieurs pouvait exclure la présence de fraude. Cette confusion a mené à une application erronée du droit, nécessitant une rectification par la Cour de cassation.
Conséquences et portée de l’arrêt : renforcement de la protection des marques
Cet arrêt de la Cour de cassation illustre l’application stricte du principe selon lequel « la fraude corrompt tout », et ce, indépendamment des circonstances telles que le risque de confusion ou l’atteinte à des droits antérieurs. La Cour a souligné avec rigueur l’importance de distinguer la fraude, considérée comme une cause de nullité absolue, des causes de nullité relative en droit des marques. Cette distinction est cruciale pour garantir que chaque type de nullité soit traité selon ses propres mérites et spécificités légales.
Cette décision, à la fois inédite et bienvenue, renforce la protection juridique des marques en soulignant la nécessité d’un examen minutieux des intentions lors du dépôt de marque, tout en rappelant aux juges du fond leur obligation de motiver précisément leurs décisions.
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