L’Afnic (Association Française pour le Nommage Internet en Coopération), en charge de la gestion des noms de domaine en .fr, a rendu sa décision dans le litige opposant le Syndicat des Vins Côtes de Provence et la société AOC ET COMPANIES. L’enjeu ? Le nom de domaine <cotesdeprovence.fr>, enregistré depuis 2004 par AOC ET COMPANIES. Le Syndicat des Vins, organisme de défense et de gestion de l’appellation d’origine contrôlée (AOC) « Côtes de Provence », contestait cette propriété, arguant que son enregistrement et son usage portaient atteinte aux droits garantis par la loi sur cette appellation viticole renommée.
Après analyse des arguments des deux parties, l’Afnic a statué en faveur du Syndicat et a ordonné le transfert du nom de domaine à son profit. Retour sur une décision marquante qui illustre l’importance de la protection des indications géographiques sur Internet.
Sommaire
Un nom de domaine au cœur de la bataille
Le litige portait sur le site <cotesdeprovence.fr>, enregistré depuis le 17 mai 2004 par la société AOC ET COMPANIES, spécialisée dans les prestations informatiques et la création de sites web. Pendant près de 20 ans, ce nom de domaine n’a pas été exploité. Mais en mars 2024, le Syndicat des Vins Côtes de Provence a engagé une démarche visant à récupérer ce domaine, estimant qu’il constituait une appropriation abusive d’une AOC protégée.
Selon le Syndicat, l’AOC « Côtes de Provence », reconnue depuis 1977 et bénéficiant d’une forte notoriété en France et à l’international, devait être protégée contre toute utilisation commerciale ou privative non autorisée. Il invoquait notamment l’article L. 45-2 du Code des postes et des communications électroniques, qui permet de contester un nom de domaine en cas d’atteinte à des droits protégés par la loi, comme une indication géographique ou une marque.
En avril 2024, le Syndicat a envoyé une mise en demeure au Titulaire pour lui demander le transfert gratuit du domaine. En réponse, ce dernier a refusé, expliquant qu’il était le propriétaire légitime et indiquant être prêt à le céder uniquement dans le cadre d’une transaction commerciale.
Face à ce refus, le Syndicat a saisi l’Afnic via la procédure PARL EXPERT, un mécanisme d’arbitrage dédié aux litiges sur les noms de domaine en .fr.
Les arguments des parties
Le Syndicat des Vins Côtes de Provence : une atteinte aux droits garantis par la loi
Le Syndicat a soutenu que l’enregistrement et le renouvellement du nom de domaine <cotesdeprovence.fr> :
- Constituaient une atteinte à l’AOC « Côtes de Provence », protégée par le Code rural et de la pêche maritime (article L. 643-1).
- Étaient susceptibles d’affaiblir ou détourner la notoriété de cette AOC, en empêchant les ayants droit légitimes d’exploiter le nom de domaine.
- Relevaient d’un enregistrement de mauvaise foi, puisque le Titulaire n’avait aucun lien avec le secteur viticole et ne l’avait jamais utilisé pour promouvoir une activité en lien avec l’appellation.
- Étaient motivés par un intérêt purement spéculatif, le Titulaire ayant proposé de vendre le domaine contre une compensation financière.
Le Titulaire, AOC ET COMPANIES : une volonté de préserver ses droits
De son côté, la société AOC ET COMPANIES a rejeté ces accusations, affirmant que :
- Elle était propriétaire légitime du domaine depuis 2004, l’ayant acquis en toute légalité selon la règle du « premier arrivé, premier servi » appliquée par l’Afnic.
- L’acronyme « AOC » dans son nom commercial ne faisait pas référence aux « Appellations d’Origine Contrôlée », mais à son slogan « [Patronyme] Optimise votre Commerce et Etc. »
- Le nom de domaine ne portait pas atteinte aux droits du Syndicat, puisqu’il n’avait jamais été utilisé pour promouvoir des vins ou un produit concurrent.
- La mise en vente du domaine n’était pas un signe de mauvaise foi, mais une conséquence directe des démarches du Syndicat pour lui en réclamer la cession.
L’analyse de l’Expert : un usage privatif abusif du nom de domaine
L’Expert désigné par l’Afnic a examiné les arguments et les preuves des deux parties. Plusieurs éléments ont pesé en faveur du Syndicat :
- Le caractère protégé de l’AOC « Côtes de Provence » : l’Expert a reconnu que cette appellation, encadrée par un décret officiel de 1977, bénéficiait d’une protection légale et ne pouvait être utilisée sans justification.
- L’identité parfaite entre le nom de domaine et l’AOC : le domaine <cotesdeprovence.fr> reprenait intégralement l’appellation, ce qui risquait de créer une confusion.
- L’absence d’exploitation légitime : le Titulaire n’avait jamais utilisé le domaine depuis 20 ans et n’avait aucun lien avec l’univers viticole.
- La mise en vente du domaine : le fait d’avoir proposé le nom de domaine à la vente et d’en faire la promotion sur un site dédié a été perçu comme une tentative de spéculation, ce qui constitue une preuve de mauvaise foi selon l’article R. 20-44-46 du CPCE.
Ainsi, l’Expert a estimé que l’enregistrement et l’usage du domaine portaient atteinte aux droits garantis par la loi et qu’il convenait de le transférer au Syndicat des Vins Côtes de Provence.
Une décision favorable à la protection des indications géographiques
Le 10 septembre 2024, l’Afnic a confirmé la décision de l’Expert et a ordonné le transfert du nom de domaine <cotesdeprovence.fr> au profit du Syndicat des Vins Côtes de Provence.
L’exécution de la décision intervient après un délai de 15 jours, période durant laquelle le Titulaire peut encore engager un recours judiciaire s’il le souhaite.
Cette affaire illustre l’importance de la protection des indications géographiques sur Internet. Les noms de domaine, en tant qu’outils stratégiques de communication et de commercialisation, ne peuvent être accaparés à des fins spéculatives lorsqu’ils reprennent des appellations protégées par la loi.
Néanmoins, cette décision soulève des interrogations, car elle remet en question la titularité d’un nom de domaine enregistré depuis 20 ans. Bien que la forclusion ne s’applique pas dans ce cas, cela crée une véritable insécurité juridique pour les titulaires de noms de domaine. En l’occurrence, cette situation peut s’expliquer par l’absence d’exploitation du nom de domaine pendant toute cette période. De manière générale, instaurer un système de prescription pour ce type de procédure serait opportun afin de garantir la sécurité juridique.
Le Cabinet Dreyfus, fort de son expertise en propriété intellectuelle et protection des noms de domaine, accompagne ses clients dans la défense de leurs droits face aux risques de cybersquattage et d’atteintes à leurs droits de PI. Nous intervenons dans le cadre de litiges UDRP, en analysant chaque dossier sous l’angle du droit des marques et des réglementations spécifiques aux indications géographiques protégées (IGP) et appellations d’origine contrôlée (AOC). Grâce à notre expérience en gestion stratégique des portefeuilles de noms de domaine, nous mettons en place des solutions adaptées pour anticiper, surveiller et défendre les actifs numériques de nos clients, qu’il s’agisse de producteurs, de syndicats professionnels ou d’entreprises du secteur viticole et agroalimentaire.
FAQ
- Une appellation d’origine contrôlée (AOC) peut-elle être protégée sur Internet ?
Oui. Une AOC est un signe distinctif protégé par la loi. L’enregistrement d’un nom de domaine reprenant une AOC sans justification légitime peut être contesté par l’organisme en charge de sa défense.
- Que faire si un nom de domaine reprend une AOC sans autorisation ?
L’organisme de défense de l’AOC peut engager une action en justice ou recourir à des procédures extrajudiciaires comme PARL EXPERT auprès de l’Afnic pour les noms de domaine en .fr, ou UDRP pour les extensions internationales (.com, .org, etc.).
- Comment fonctionne la procédure PARL EXPERT de l’Afnic ?
PARL EXPERT est une procédure rapide et extrajudiciaire permettant de résoudre les litiges liés aux noms de domaine en .fr. Un expert examine les arguments des parties et peut décider du transfert ou de la suppression du nom de domaine contesté.
- Est-il possible d’enregistrer un nom de domaine dans le seul but de le revendre ?
Non. L’enregistrement spéculatif d’un nom de domaine, sans intention de l’exploiter mais dans l’objectif de le revendre à un prix élevé, peut être considéré comme un usage de mauvaise foi et donner lieu à une contestation.
- Un nom de domaine correspondant à une AOC peut-il être utilisé par une entreprise extérieure au secteur ?
L’usage d’un nom de domaine correspondant à une AOC par une entreprise qui n’a aucun lien avec le secteur concerné peut être contesté si cela risque d’affaiblir ou détourner la notoriété de l’appellation.
- Quels critères permettent de prouver la mauvaise foi dans l’enregistrement d’un nom de domaine ?
La mauvaise foi peut être établie si le titulaire du domaine :
- N’a aucun intérêt légitime à son enregistrement,
- Cherche à tirer profit de la notoriété d’une AOC ou d’une marque,
- Met en vente le domaine après avoir été contacté par un ayant droit,
- Ne l’exploite pas activement pendant une longue période.
- Une AOC peut-elle être considérée comme un bien public sur Internet ?
Non. Les AOC sont protégées par des textes législatifs et ne peuvent pas être librement utilisées par des tiers sans autorisation. Elles bénéficient d’un cadre juridique spécifique qui empêche leur appropriation abusive.
- Un organisme de défense d’une AOC peut-il récupérer un nom de domaine sans compensation financière ?
Oui. Si l’organisme démontre que l’enregistrement du nom de domaine porte atteinte à l’AOC, l’Afnic ou une autorité compétente peut ordonner son transfert sans obligation d’indemnisation du titulaire initial.
Le cabinet Dreyfus & Associés est en partenariat avec un réseau mondial d’avocats spécialisés en Propriété Intellectuelle.
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