L’essor fulgurant de l’intelligence artificielle (IA) a conduit à des avancées significatives dans de nombreux domaines, y compris l’innovation technique. Désormais, des IA autonomes sont capables de générer des inventions sans intervention humaine directe. Cette réalité soulève une question centrale en droit des brevets : une invention générée par une IA peut-elle être protégée par un brevet ?
Ce sujet complexe est au cœur des préoccupations des offices de propriété intellectuelle et des législateurs du monde entier, qui s’interrogent sur la manière dont le droit des brevets doit s’adapter à cette nouvelle forme d’innovation.
Sommaire
L’éligibilité au brevet des inventions générées par une IA
Les critères de brevetabilité
Conformément à l’article L611-10 du Code de la propriété intellectuelle, pour être brevetable, une invention doit répondre aux trois critères fondamentaux :
- La nouveauté : l’invention ne doit pas avoir été divulguée au public avant le dépôt de la demande de brevet.
- L’activité inventive : l’invention ne doit pas être une simple amélioration évidente pour un expert du domaine.
- L’application industrielle : l’invention doit être susceptible d’être utilisée dans l’industrie.
Lorsqu’une IA génère une invention, l’évaluation de ces critères devient plus complexe. En effet, l’originalité de l’invention dépend fortement des données d’entraînement et des algorithmes utilisés par l’IA. Il devient alors difficile de déterminer si l’invention est réellement nouvelle ou si elle est simplement une reformulation d’informations existantes.
De plus, l’activité inventive suppose qu’une invention ne découle pas de manière évidente des connaissances antérieures. Or, si une IA est programmée pour analyser un vaste corpus de données techniques et proposer des solutions optimisées, peut-on considérer que son invention résulte d’un effort créatif suffisant ?
Les défis liés à la reconnaissance de l’IA en tant qu’inventeur
L’un des principaux obstacles juridiques concerne l’attribution de l’inventeur. Aujourd’hui, la plupart des législations exigent qu’un inventeur soit une personne physique.
L’Office Européen des Brevets (OEB) et l’Office Américain des Brevets et des Marques (USPTO) ont refusé des demandes de brevet où une IA était désignée comme inventeur.
À titre d’exemple, en janvier 2020, l’OEB a rejeté deux demandes de brevets européens où l’inventeur désigné était une intelligence artificielle nommée DABUS. Cette décision s’appuie sur la Convention sur le brevet européen (CBE), qui stipule que seul un être humain peut être reconnu en tant qu’inventeur.
Le demandeur, créateur de DABUS, soutenait que cette IA, basée sur des réseaux de neurones artificiels, avait conçu les inventions de manière autonome. Toutefois, l’OEB a conclu que, selon la CBE, les droits attachés au statut d’inventeur, tels que le droit d’être mentionné ou de transférer un brevet, ne peuvent être attribués qu’à des personnes physiques ou morales. Les systèmes d’IA, dépourvus de personnalité juridique, ne peuvent donc pas être reconnus comme inventeurs.
Cette affaire met en lumière les défis juridiques posés par l’intelligence artificielle dans le domaine de la propriété intellectuelle.
Ces décisions sont motivées par le fait que seuls les humains peuvent être légalement reconnus comme inventeurs, notamment pour des raisons de droits et de responsabilité.
Cette position soulève un dilemme : lorsque l’intervention humaine est minimale ou inexistante dans le processus d’invention, à qui attribuer la paternité de l’invention ?
Certains experts suggèrent d’attribuer l’inventivité à l’utilisateur de l’IA ou à l’entité qui la contrôle, mais cette approche fait encore débat.
Les évolutions législatives
Les perspectives internationales
Face aux incertitudes liées à l’IA et à la brevetabilité, plusieurs initiatives sont en cours à l’échelle mondiale :
- L’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (OMPI) a lancé des consultations sur l’impact de l’IA en droit des brevets et envisage des réformes potentielles pour harmoniser les approches entre pays.
- Les États-Unis ont vu émerger plusieurs propositions législatives visant à clarifier le statut juridique des inventions générées par IA, bien qu’aucune réforme majeure n’ait été adoptée à ce jour.
Aux États-Unis, en octobre 2023, la Maison Blanche a émis un ordre exécutif visant à encadrer le développement sécurisé et fiable de l’intelligence artificielle (IA). En réponse, l’Office américain des brevets et des marques (USPTO) a publié, en février 2024, des directives concernant la brevetabilité des inventions assistées par l’IA.
Ces directives précisent que :
- Une IA peut contribuer à une invention, mais
- Seul un être humain ayant apporté une contribution significative à chaque revendication peut être légalement reconnu comme inventeur.
Cette position s’aligne sur des décisions judiciaires antérieures affirmant que l’inventeur doit être une personne physique. Ainsi, les demandes de brevet impliquant l’IA doivent impérativement nommer les individus ayant contribué de manière substantielle à l’invention, excluant la possibilité de désigner l’IA elle-même comme inventeur.
Cette évolution réglementaire souligne l’importance de clarifier les rôles respectifs des humains et des systèmes d’IA dans le processus d’innovation, afin de garantir une protection juridique adéquate des inventions aux États-Unis.
Les évolutions récentes du droit des brevets
Certains pays ont amorcé des changements dans leur législation :
- L’Afrique du Sud a été le premier pays à accorder un brevet à une invention générée par une IA, bien que cette décision demeure un cas isolé.
- L’Australie a également examiné la question, et dans une décision du 30 juillet 2021, la Cour Fédérale a admis cette possibilité (Thaler v Commissioner of Patents [2021] FCA 879).
Ces évolutions montrent que la reconnaissance des inventions générées par une IA est un sujet en constante évolution et qu’il est probable que les régulateurs devront prochainement clarifier leur position pour répondre aux enjeux soulevés par l’IA et la propriété intellectuelle.
Les enjeux pratiques pour les innovateurs
Stratégies pour protéger les inventions générées par l’IA
Les entreprises et les innovateurs doivent anticiper les défis juridiques en adoptant des stratégies adaptées :
- Assurer un rôle humain dans le processus d’invention : un chercheur ou un ingénieur doit être suffisamment impliqué pour être désigné comme inventeur.
- Documenter toutes les étapes de la création : il est essentiel de conserver des traces détaillées du fonctionnement de l’IA et de son rôle dans l’invention.
- Explorer des alternatives à la protection par brevet : lorsque la brevetabilité est incertaine, d’autres formes de protection, comme le secret des affaires, peuvent être envisagées.
Conséquences sur la gestion des droits de propriété intellectuelle
Les entreprises doivent adapter leurs stratégies de gestion des brevets aux défis posés par l’IA. Il est notamment conseillé de :
- Mettre à jour les contrats pour définir clairement la titularité des inventions générées par IA.
- Surveiller les évolutions législatives pour anticiper d’éventuels changements réglementaires.
Conclusion
L’émergence de l’IA dans le domaine de l’innovation soulève de profondes questions juridiques et éthiques. Le droit des brevets, tel qu’il existe aujourd’hui, n’est pas totalement adapté à cette nouvelle réalité. Les législateurs et les offices de propriété intellectuelle doivent donc s’adapter pour répondre aux défis posés par les inventions autonomes des IA.
En attendant des clarifications réglementaires, les innovateurs doivent adopter des stratégies proactives pour protéger efficacement leurs inventions et préserver leurs droits de propriété intellectuelle.
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